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Les trois hommes faisaient piètre figure.

La sentinelle qui, pour une fois, avait laissé ses armes au corps de garde et ne savait où mettre ses mains, soulevait perpétuellement son képi pour se gratter le front.

Près d’elle, les deux gardiens échangeaient des regards atterrés d’abrutis.

— Quoi c’est qu’on t’a dit ? interrogea le major.

— Tout simplement que M. le directeur me demandait, qu’il voulait me parler au sujet du D. 33,

— C’est comme moi. On ne m’a pas donné d’autres explications.

La sentinelle s’approchait des deux hommes :

— Ah, bon Dieu de malheur, s’exclama le soldat, c’est tout de même pas de veine que je n’aie pas pu le dégringoler d’un coup de fusil.

— Oui, opinait le major, maintenant on n’aurait pas d’histoires. Tout se serait parfaitement passé, et même tu toucherais demain matin la prime d’évasion.

La porte du cabinet directorial s’ouvrait, M. Van den Goossen apparut en personne.

— Allons, entrez.

À son invitation, les deux gardiens et le soldat pénétrèrent dans la pièce assez élégante qu’était le bureau de M. Van den Goossen.

Le digne M. Van den Goossen se jeta sur un fauteuil dont les ressorts grincèrent sous son poids. Il s’écria :

— Alors, maintenant les prisonniers font ce qu’ils veulent ! Ils grimpent sur les murs. Ils s’évadent. Ils rentrent dans la prison. Ils en ressortent. Ils vont et viennent. En toute liberté. C’est la nouvelle consigne ?

Le directeur de plus en plus en colère avait soulevé sur son bureau un lourd presse-papier de bronze qu’il laissa retomber.

— C’est inimaginable ! Enfin, gardien, racontez-moi exactement comment les choses se sont passées.

Le gardien rougit, pâlit, se pencha en avant pour examiner le bout de ses pieds, puis se renversa en arrière :

— Monsieur le directeur, commença-t-il, moi, je n’ai fait qu’accomplir mon service. Et voici comment. Tout à l’heure, à neuf heures du soir, comme je faisais ma ronde, aile D, et que par les « espions » je surveillais les prisonniers, j’ai été avisé par le D. 33 qu’il était souffrant, il se plaignait de terribles crampes d’estomac.

— Eh bien, c’est excessivement simple. Il fallait prévenir le major et le conduire à l’infirmerie.

— C’est bien ce que j’ai fait, monsieur de directeur.

— Et alors ?

— Alors, monsieur le directeur, une fois le major prévenu et l’un de mes collègues mis en garde à ma place, j’ai ouvert la cellule et j’ai invité le D. 33 à venir à l’infirmerie.

— Bon. Après ?

— Après, monsieur le directeur, nous sommes sortis de l’aile D, et pour gagner l’infirmerie, mon prisonnier et moi, nous avons longé le mur d’enceinte.

— C’était votre chemin, je le reconnais, et ensuite ?

— Ensuite ? Monsieur le directeur, voyez-vous, c’est à ce moment-là que le malheur a commencé. Voilà-t-y pas que, tout d’un coup, pendant que nous marchions côte à côte le long du mur d’enceinte, je vois le D. 33 qui sursaute à la façon d’un homme qui a une vive émotion. Et puis, avant que j’aie eu le temps de me reconnaître, vlan ! je reçois une bourrade à l’épaule. Une bourrade, sauf votre respect, qui m’envoie m’aplatir par terre.

— C’est le D. 33 qui vous la donne, cette bourrade ?

— Oui, monsieur le directeur, c’est le D. 33 qui me la donne, et je vous assure qu’il ne perd pas son temps. Je ne suis pas encore par terre, monsieur le directeur, que je le vois qui prend sa course comme un fou. Il s’élance en avant, il s’approche du mur d’enceinte. Je ne suis pas relevé qu’il a saisi une corde, une corde lisse qui pend là, et en deux temps trois mouvements, il est sur le mur, sur le sommet et il a retiré la corde.

— Alors, qu’est-ce que vous faites ?

— Qu’est-ce que je pouvais faire, monsieur le directeur ? Il avait retiré la corde, donc je ne pouvais pas le poursuivre. Mais, tout de même, je me mets à crier, à hurler, à gueuler. Ah ouitche ! je vous assure, monsieur le directeur, que ça n’avait pas l’air de l’impressionner beaucoup. Je vous ai dit qu’il était monté en moins de dix secondes sur le haut du mur, sûr comme je vis qu’il n’y est pas resté plus de cinq secondes, le temps de crier trois fois, et je ne voyais plus rien du tout. Du mur d’enceinte, il avait sauté sur le mur de clôture. Moi, naturellement, monsieur le directeur, quand je ne l’ai plus vu, je me suis sauvé comme un voleur pour aller donner l’alarme au poste. Et voilà tout.

Le directeur ronchonna quelque chose d’indistinct, puis, brutalement, interrogea le soldat :

— Et vous ? qu’est-ce que vous savez ? À quoi sert-il que vous soyez de garde si vous n’êtes même pas capable d’empêcher un prisonnier de se sauver ?

Le soldat se gratta la tête.

— Mais, monsieur le directeur, protesta-t-il, c’est tout de même moi qui l’ai empêché, en l’empêchant pas et en l’empêchant tout de même.

— Expliquez-vous.

— Eh bien, voilà la chose. Monsieur le directeur. J’étais de garde dans le chemin de ronde, entre les deux murs, le mur d’enceinte et le mur de clôture. Bougez pas, m’avait dit le caporal, surtout ne bougez pas, seulement levez la tête tout le temps parce que si un détenu se sauve, il faut que vous lui tiriez dessus.

— Et vous n’avez pas osé tirer sur le D. 33 ?

— Pardon, excuse, monsieur le directeur, j’aurais très bien osé, seulement j’ai pas eu le temps.

Et s’échauffant à son tour, le malheureux militaire expliqua :

— Il y avait déjà une heure et demie que j’étais de garde. Je ne voyais rien. Tout était tranquille. Je ne pensais même pas à grand-chose. Et puis, tout d’un coup, voilà que j’entends de l’autre côté du mur d’enceinte, des hurlements, des cris, des jurons, des appels. Bref, un raffut du diable. Bon, que je me dis, y en a encore un qu’est en train de s’empoigner avec les gardiens. Ça ne me troublait pas autrement, vous comprenez. Et puis tout d’un coup, ah sapristi, monsieur le directeur, ça m’en a fait une émotion ! je vois un grand diable qui est pour ainsi dire à cheval sur le mur d’enceinte. Oh, que je pense, ça devient grave. Bien sûr, je ne me trompais pas, l’individu en moins de rien court sur le mur et je le vois qui empoigne quelque chose, une corde qui était jetée du mur d’enceinte sur le mur de clôture. Cette corde-là, monsieur le directeur, ça faisait comme qui dirait un pont pour passer. L’homme la suit comme un gymnaste : en deux secondes, il était sur le faîte du mur de clôture.

— Et vous ne tiriez toujours pas ?

— J’aurais bien tiré, monsieur le directeur, mais il allait vite, le bougre. Et puis je ne voyais pas clair. Je me disais : c’est-y un détenu ? c’est-y un gardien ?

— Imbécile. Et alors ?

— Alors, ça c’est le plus étrange ! Tandis que je l’ajustais avec mon mousqueton, prêt à le descendre ni plus ni moins qu’un lapin, voilà qu’il me crie : « Fais donc pas feu, espèce de tourte, tu vois bien que je reviens. » Et c’était la vérité vraie, monsieur le directeur, il revenait. Je le vois qui repasse au-dessus du chemin de ronde, qui remonte sur le mur d’enceinte, et puis qui prend son élan, qui saute…

Le soldat n’ajouta rien à son récit. Il avait l’air de ne pas comprendre ce qu’il disait.

Pour le directeur, après avoir haussé les épaules deux ou trois fois, il se tourna vers le gardien-chef :

— Et vous, major, qu’est-ce que vous savez ?

— Moi, monsieur le directeur, ne pensant qu’à mon service, je suivais le mur d’enceinte bien tranquillement, dans le sens opposé à celui où venait le D. 33 et son gardien. Je ne les voyais pas encore. Ils étaient masqués par les bâtiments. Et puis, subitement, à l’improviste, j’entends crier, j’entends hurler ! Devant moi ou derrière moi ? Ma foi, je n’en savais rien. Naturellement, je m’arrête, je cherche à m’orienter, à deviner ce qui se passe. Et voilà que pendant que je réfléchis, j’entends au-dessus de ma tête, à ma hauteur, un bruit extraordinaire. Le temps de me détourner, monsieur le directeur, et crac, j’aperçois le D. 33 qui saute du mur d’enceinte à mes côtés. Il a fait un bond formidable. Il y avait de quoi être surpris, vous pensez bien.

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