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— La lettre existe. Au surplus, si elle n’existait pas, la situation serait la même.

— Je ne comprends pas, je ne comprends pas, balbutia M me Granjeard, qui, effondrée dans un fauteuil, se comprimait la tête dans les mains.

— C’est bien simple, pourtant, reprit Fantômas, et je m’en vais préciser pour vous, madame. Voilà la situation. Une première fois, lorsque vous étiez sous les verrous, vous accusez la maîtresse de votre fils d’avoir été l’instigatrice du crime. Pourquoi ? Parce que le testament de Didier fait de cette Blanche Perrier sa légataire universelle. L’argument est si probant, d’ailleurs, que le magistrat vous libère immédiatement. Bien. Je continue. Vous avez peur que le magistrat ne s’aperçoive que le testament que vous avez invoqué pour accuser Blanche Perrier est en réalité un testament faux, c’est ce qui arrive, mais vous avez prévu le cas. Et, dès lors, vous venez dire : « Eu égard aux enquêtes postérieures qui ont été faites, aux suppléments d’information que nous avons recueillis, nous basant sur l’affaire du chariot, nous estimons que le coupable, l’auteur du meurtre de Didier, est un étrange mendiant, un simulateur d’infirmités, un homme suspect enfin, le journaliste Jérôme Fandor ». Moi, Juve, j’interviens à ce moment et je vous objecte que cette version a un inconvénient, c’est que Jérôme Fandor, qui habite à côté de Blanche Perrier, trouvera auprès d’elle tous les alibis nécessaires, qu’il soit coupable ou innocent. Je continue. À peine ai-je soulevé devant vous ces hypothèses, à peine vous ai-je fait toucher du doigt cette question délicate, que Blanche Perrier meurt assassinée. Qu’est-ce que je dois donc conclure en bonne logique ? c’est que, excusez-moi de ne pas vous mâcher les mots, pour compromettre plus sûrement Fandor et lui enlever le seul témoin qui l’innocente, vous avez fait assassiner Blanche Perrier.

M me Granjeard, qui, à grand peine, se condamnait au silence pendant que parlait le faux policier, ne put contenir plus longtemps son indignation :

— Mais, hurla-t-elle, c’est épouvantable ce que vous racontez-là. Ce que vous imaginez, car nous ne sommes pour rien dans ces affreuses combinaisons.

Elle s’arrêtait. Le faux Juve avait fait un signe de la main et d’un ton très calme, il reprenait :

— Je ne veux pas me demander, Madame, si, dans la famille Granjeard, il est ou non quelqu’un de coupable, je vous signale simplement l’opinion qui se forme, qui se précise à votre égard et je vous préviens des risques que vous courez. Si les juges raisonnent comme je viens de le faire, vous aurez bien du mal, les uns et les autres, à vous sortir d’affaire.

Ce n’était ni M me Granjeard ni Paul Granjeard qui pouvaient protester.

La mère, en effet, était sans cesse retenue, paralysée par cette pensée que c’était son fils, Paul, qui avait tué Didier et, d’autre part, Paul avait acquis, croyait-il du moins, la certitude absolue que le meurtrier de son frère n’était autre que celle qui lui avait donné le jour.

La mère et le fils se tordaient les bras, absolument désespérés, convaincus que, d’un instant à l’autre, Juve allait leur annoncer qu’u était venu les voir, officiellement, de la part de la justice, et qu’il allait à nouveau procéder à leur arrestation.

Robert Granjeard semblait, lui aussi, désolé. Il était plongé dans les plus sombres réflexions, assis dans un angle de la pièce, le visage dissimulé derrière ses mains.

Le faux Juve, estimant que ces gens étaient au paroxysme de l’émotion, insinua alors :

— Il n’y aurait pour vous qu’un moyen de vous tirer d’affaire et ce moyen je vous l’apporte.

Les trois Granjeard, avec surprise et espoir, considéraient l’imposteur. Celui-ci poursuivit :

— Pour vous innocenter il faut un coupable. Or, ceux sur lesquels, jusqu’à présent, vous avez jeté vos vues vous ont échappé d’une façon ou d’une autre. Il en reste un, c’est Fandor, et Fandor est disposé à assumer, dans une certaine mesure, la lourde responsabilité dont il vous déchargerait. Il veut bien disparaître. Il veut bien partir, sa fuite l’accusera. Y consentez-vous ?

Le policier ne précisait pas, n’achevait pas autrement sa phrase, mais elle avait néanmoins un sens très net, les Granjeard ne s’y trompèrent pas.

Paul et sa mère demandèrent ensemble, catégoriquement, en gens habitués à traiter avec précision les affaires de toute nature :

— Combien ?

Sans hésitation, Fantômas répliqua :

— Cette fois, pas moins d’un million !

Il y eut un instant de silence. M me Granjeard était devenue toute pâle, Paul Granjeard laissait échapper un profond soupir :

— Écoutez, Monsieur…, commença-t-il.

— Ne discutons pas, je vous en prie, fit-il, je me fais là, bénévolement, l’intermédiaire d’une cause excessivement délicate à plaider. J’agis dans votre intérêt. Personnellement je n’en tire aucun avantage, je n’ai qu’une chose à vous dire : c’est un million ou l’arrestation, un million tout de suite.

M me Granjeard attira Juve à part, elle s’approcha avec lui de la fenêtre :

— Monsieur, demanda-t-elle en étouffant le son de sa voix, sur tout ce que vous avez de plus sacré, jurez-moi que vous m’avez dit la vérité lorsque vous avez accusé mon fils Paul.

Imperturbable et cynique, Fantômas répondit :

— Je vous le confirme, Madame, c’est votre fils Paul qui a tué Didier.

— C’est bien, monsieur, dit M me Granjeard. Je veux que cette affaire-là s’arrange, qu’elle s’arrange à tout prix, vous aurez cet argent, monsieur, je m’en occupe immédiatement.

M me Granjeard fit signe à son fils Robert, de quitter la pièce, Paul Granjeard restait en tête à tête avec le faux policier :

— Que vous a dit ma mère ? interrogea Paul d’un ton plein d’anxiété.

Fantômas n’en n’était pas à un mensonge près :

— M me Granjeard parle de se tuer, elle est affolée à l’idée que, peut-être, on va s’apercevoir, découvrir que c’est elle qui, dans un moment de folie a frappé mortellement votre frère Didier et elle veut que je paie ce qu’il faut pour acheter les silences, pour désorienter la Justice.

— Ah Monsieur, murmura Paul Granjeard, faites cela, je vous en conjure. Merci. Merci.

Paul Granjeard, à son tour, s’éclipsa, mais il revint au bout d’un instant, d’un geste suppliant, il s’adressa à Juve :

— Monsieur, fit-il, le temps de réaliser la somme importante qu’il faut et elle est à votre disposition.

Fantômas fronça le sourcil :

— Ne pouvez-vous pas la donner aujourd’hui ?

— Demain seulement, fit Paul Granjeard inquiet, mais demain, je vous le jure. Viendrez-vous la chercher ?

Le bandit réfléchissait, il était perplexe, ennuyé :

— Demain, fit-il, c’est bien long. J’aurais préféré… j’ai peur pour vous.

Mais, Fantômas comprenait que les Granjeard réellement n’avaient pas l’argent disponible et que, par conséquent, il serait parfaitement inutile d’insister, il accepta :

— Toutefois, fit-il, nous ne savons pas si nous ne sommes pas surveillés les uns et les autres, il importe de détourner les soupçons : voulez-vous, nous nous verrons ailleurs que dans votre domicile ? Demain, précisément, je fais une filature aux environs de Montrouge, voulez-vous que nous nous rencontrions à huit heures pour dîner au restaurant de L’Épervier, rue Froidevaux, derrière le cimetière Montparnasse ? Ma présence, dans ce lieu ne surprendra personne, et la vôtre passera inaperçue.

Les deux hommes prenaient rendez-vous pour le lendemain à huit heures au restaurant de L’Épervier.

***

— À qui ai-je l’honneur de parler ?

M. Havard, directeur de la Sûreté, venait de poser cette question à un homme d’une trentaine d’années, correct, distingué, tout vêtu de noir et qui avait demandé à être introduit auprès de lui pour une affaire importante, disait-il, et de la plus grande urgence.

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