Et, pour éviter d’être aperçu de l’escalier, Jérôme Fandor monta en se collant à la muraille.
La maison remuait d’ailleurs. De toutes parts, les portes s’ouvraient, des femmes, parfois une honnête ménagère, le plus souvent des pierreuses ou de terrifiantes mégères, descendaient pour appeler les gosses qui ne semblaient avoir nul souci de remonter se coucher dans la chambre où le père, en guise de bienvenue et de bonsoir, allait, comme d’habitude, leur administrer la raclée.
Jérôme Fandor se hâta. Au sixième, on voyait un peu plus clair dans le corridor car il donnait de plain-pied sur le toit d’une maison avoisinante.
Jérôme Fandor tourna sur la droite, chercha la chambre du Bedeau. Il la heurta d’un coup de poing :
— T’es là, l’Bedeau ? commença-t-il d’une voix qu’il voulait avinée.
Le Bedeau ne devait pas être dans la chambre. Jérôme Fandor n’entendit aucune réponse, aucun bruit.
— Décidément, j’ai de la veine, pensa-t-il.
Et, en professionnel expert, profitant d’un moment où le couloir était désert, Jérôme Fandor introduisit un passe-partout dans la serrure, fit jouer la gâche, ouvrit brusquement la porte.
Il ne s’était pas trompé, la chambre était vide.
— De mieux en mieux, se déclara Fandor.
Et, sans aucun scrupule, Jérôme Fandor, ayant pénétré dans la mansarde, referma tranquillement la porte sur lui. Au surplus, il n’y avait pas à s’y tromper. Il était bien chez le Bedeau. À un clou, une défroque pendait qui suffisait à lui enlever tout doute à cet égard, car il reconnaissait la veste que portait la veille même, chez le père Pioche, le sinistre Bedeau.
La chambre d’ailleurs était épouvantablement sale, sale à faire reculer. Dans un coin, près d’un grabat, d’une paillasse jetée à même le sol et sur laquelle des vêtements étalés en désordre figuraient les couvertures, se trouvait une chaise éventrée. Plus loin, sur une vieille table dont les pieds étaient cassés et consolidés par des planches, se trouvait une cuvette remplie d’eau sale, un pot à eau encombré d’une serviette encore trempée.
C’était là tout le mobilier.
Fandor apercevait encore un journal étendu sur le sol sur lequel étaient amassés des bouts de cigarettes recueillis dans les rues, aux terrasses des cafés et constituant évidemment les provisions de tabac de l’apache.
Aux murs enfin, avec quatre épingles tordues, une grande affiche rouge, qui commençait par les mots : « Citoyens, on vous trompe », attestait que le Bedeau, à ses moments perdus, ne négligeait pas la politique.
Mais tout ce pauvre et ignoble désordre était bien indifférent à Fandor qui ne perdit pas de temps à le considérer.
— Hé, hé, monologua le journaliste, il s’agit de faire vite, si je ne veux pas que mon homme me tombe dessus et me fasse passer le goût du pain.
Jérôme Fandor, tout en parlant, s’agenouilla, tapa du poing sur les briques formant le carrelage du plancher. Il était venu en effet beaucoup moins avec le désir de rencontrer le Bedeau qu’avec l’intention de rattraper le coffret que Fantômas avait confié à la garde de son complice. Ce coffret, à coup sûr, le Bedeau avait dû l’emporter dans sa chambre, dans cette chambre où, précisément Fandor venait perquisitionner. Qu’en avait-il fait par exemple ? où avait-il pu le cacher ? Et Jérôme Fandor n’avait pas hésité longtemps, vu l’absence de meubles, à deviner qu’un trou devait être pratiqué dans le carrelage et que, dans ce trou, le coffret devait être dissimulé. Le journaliste ne se trompait pas.
Comme il tirait à lui la paillasse, il découvrit en effet qu’un des carreaux rouges, formant le plancher, branlait légèrement dans son alvéole. Introduire une lame de canif sous ce carreau, le faire sauter, lever aussi les carreaux avoisinants, découvrir le coffret fut l’affaire d’une seconde.
— Ma parole, murmura Fandor, je crois que je n’aurai pas perdu ma soirée.
Pourtant, en soulevant le coffret, Fandor éprouva une vive surprise. Il était étonnamment léger.
— Ah çà, commença le journaliste, est-ce que par hasard, le voleur que je suis, en ce moment, serait volé ? est-ce que l’argent ne serait plus là ? C’est fermé, murmura-t-il tout d’un coup, par une serrure à secret. Quel peut être le secret de Fantômas ? Tiens, une idée.
Fandor fit jouer la combinaison permettant d’ouvrir l’intrigante petite boîte, il amena les lettres H.E.L.E.N.E.
— « Hélène », se disait le journaliste. À coup sûr Fantômas doit avoir pris le nom de sa fille comme combinaison.
Le journaliste, une fois encore, venait d’être bien inspiré. À peine avait-il formé le nom que la serrure rendit un petit craquement, la patte formant le cadenas se souleva d’elle-même, un ressort poussa le couvercle, le coffre s’ouvrit, il était vide.
De rage, Jérôme Fandor rejeta la boîte :
— Ah, nom d’un chien, j’arrive trop tard.
Au même moment, un formidable coup de point l’atteignait à la tempe, cependant qu’une voix gouailleuse lui hurlait aux oreilles :
— Eh bien, j’arrive à temps, moi, ah punaise, c’est comme ça que tu cambrioles à domicile ? Attends voir que je t’aplatisse.
Jérôme Fandor – qui, dans son ardeur à ouvrir la boîte, ne s’était nullement aperçu que quelqu’un avait pénétré dans la pièce, quelqu’un qui n’était autre que le Bedeau, – s’écroula sur le sol, à demi étourdi par le coup de poing formidable qui venait de lui être assené.
Il tomba, mais sans perdre sa présence d’esprit pour autant.
— Mon vieux Bedeau, criait Fandor, on a des comptes à régler, rends-toi ou gare à ta peau.
— Gare à la tienne, hurla le Bedeau.
Le jeune homme n’eut pas le temps de prendre son revolver dans sa poche. Il n’y songeait peut-être point dans l’angoisse de la minute. En revanche, il s’empara d’une autre arme, d’une arme terrible. Et, tandis que le Bedeau s’élançait vers lui, le bras levé, un eustache affilé à la main, Jérôme Fandor, ramassant sur le sol l’un des carreaux qu’il avait déplacés pour trouver le coffret, se relevait, évitait le coup de l’apache et le frappa violemment au visage avec la brique qu’il tenait :
— Rends-toi, hurla-t-il.
Aveuglé, étourdi, le Bedeau avait reculé.
— Je vais te saigner, salaud ! criait l’apache.
Et, prêt à subir un nouveau choc, Fandor, le dos au mur, s’apprêta à bondir. Or, à ce moment même, la porte de l’étroit logement s’ouvrit. Et Fleur-de-Rogue entra, hurlant :
— Acré, la paix, fais attention, l’Bedeau, v’là l’grand mec qui monte, il est sur mes talons.
Fandor vit la situation d’un coup d’œil. Arrêter à lui seul le Bedeau dans cette maison où chacun s’ameuterait probablement pour délivrer son prisonnier, il n’y fallait pas songer. Quelqu’un montait, Fleur-de-Rogue venait de le crier. Quel était ce quelqu’un ? à coup sûr un ami du Bedeau.
Fandor pensait :
— Le coffret est vide, l’argent n’est plus là, je n’ai plus rien à faire ici. Et, vif comme à son ordinaire, Jérôme Fandor, au moment même où Fleur-de-Rogue allait l’apercevoir, bondit sur la jeune femme. Le journaliste saisissant la pierreuse par la taille, l’enleva littéralement de terre, la jeta sur le Bedeau, qui manqua rouler sur le sol en recevant ce projectile d’un nouveau genre : Fandor, de son côté, sans s’occuper des cris du Bedeau et de Fleur-de-Rogue, se hâta de s’enfuir, claquant la porte derrière lui. Mais au lieu de prendre l’escalier, il courut jusqu’au fond du corridor, de l’autre côté du palier. Le journaliste était à peine caché dans l’ombre, qu’il voyait en effet, une silhouette d’homme se diriger de l’autre extrémité du couloir, vers la chambre du Bedeau.
— Bien du plaisir, pensa Fandor, je reviendrai demain, mes bons amis.
Et sans demander son reste, le journaliste reprit l’escalier, le dégringola à toute allure avec la vague idée que peut-être, une fois dehors, il trouverait des agents, pourrait revenir.
Or, tandis que Fandor s’enfuyait, dans la chambre du Bedeau, l’apache repoussant sa maîtresse s’emportait :