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— Et alors Riquet ?

— Alors dame, on fait le poireau comme ça un certain temps, puis, tout d’un coup, je sens qu’on embarque quelque chose dans la voiture, les ressorts fléchissent, bref, on va repartir, je ne me trompais pas. Deux secondes après le moteur ronfle, on détale à nouveau, zou, ça a duré trois heures cette nouvelle course-là et pendant trois heures, je n’ai eu d’autre préoccupation que de me caler confortablement, dans mon coin. Je me disais : est-ce qu’on rentre à Paris ? ou est-ce qu’on s’en éloigne ? ah ouitche, pas moyen de le savoir ! Enfin, la mécanique s’arrête. Très bien. J’attends encore. Pas de bruit. Pas de voix. Personne. Tiens que je pense, si j’allais faire un tour ? J’ouvre mon coffre, je sors, je me dis : où que je vas être ? mes agneaux, j’étais ici.

— Ici ? tu étais ici, Riquet ? cria Blanche. Mais où que c’est, ici ?

— Dame ! Je me le demande, ripostait Riquet, c’est pas dans mon coffre que j’ai pu voir le chemin.

— Mais quand tu es sorti de la voiture ?

— Quand je suis sorti de la voiture, j’ai vu que j’étais dans une grande propriété, seulement comme je n’étais pas certain que le propriétaire soit de mes amis, j’ai préféré pas insister. Au lieu de monter l’escalier d’honneur, je me suis faufilé le long des bâtiments. Je vois une petite porte. C’est peut-être par là qu’on s’en va ? J’ouvre la porte, il y avait là un escalier, je le descends. Boum, je tombe dans les caves, ah, zut alors, qu’est-ce qu’elles sont grandes, les caves. Riquet, que je me dis, tu vas te perdre là dedans, et ça sera le diable pour te sortir, enfin n’importe comment, j’avance toujours. C’est plus fort qu’une histoire des Mille et Une nuits ce qui m’arrive. Figurez-vous mesdames, qu’au beau milieu de ma promenade, je rencontre un type qui a un levier dans les mains, une lanterne près de lui, et qui creuse dans le sol. Naturellement, je mets ma casquette à la main, je m’apprête à lui demander le chemin. Ah, ouitche, dès qu’il me voit, c’t’imbécile là, il se met à hurler comme une baleine, qu’il y a des fantômes et qu’il faut pas que je l’étrangle, et patati et patata. C’est le moment que vous êtes arrivée, Mam’zelle Hélène, vous savez le reste.

Hélas, ce que Blanche et Hélène savaient, n’était pas de nature à les rassurer. L’invraisemblable aventure de Riquet, caché dans l’automobile de Juve, tombant à l’improviste, sans être vu de personne dans le château mystérieux, ancien couvent, n’était pas faite pour les rassurer.

Riquet, sa confession terminée, son histoire racontée s’assit tranquillement et tranquillement encore, tira de sa poche, un bout de mégot, qu’il alluma avec un sourire béat :

— Et puis, c’est pas tout ça, déclara-t-il, ayant, à son tour, questionné les deux femmes, et appris comment elles se trouvaient dans le château. Je ne dis pas, que ce n’est pas gentil ici, mais j’aimerais autant me trouver sur le pavé de Pantruche. Faudrait voir à s’en aller, hein ? Qu’est-ce que vous en pensez ?

Hélène et Blanche étaient bien de l’avis du gavroche. S’en aller. Quitter la prison où elles pensaient mourir de peur et d’ennui. Ah, certes, Hélène et Blanche eussent fait des prodiges pour y réussir, mais hélas, elles ne trouvaient guère le moyen pratique leur permettant de franchir ces hautes murailles, pour se délivrer de la surveillance du Bedeau et pour fuir.

— Mon pauvre Riquet, dit Blanche, j’ai bien peur que tu ne te sois fait prendre à un terrible piège. Tu as toi, toute confiance en Juve, mais pourtant tu conviendras que sa conduite est étrange. Et puis surtout…

Mais Riquet l’avait interrompue :

— Oh là là, c’est pas la peine de me chanter les vêpres, moi je suis pas comme le monsieur qui disais : j’y suis, j’y reste. J’suis venu c’est possible, mais ce qu’il y a de certain, c’est que je veux m’en aller. D’abord, il y a pas à dire, il faut que j’me débine, j’vas du reste aller prévenir un de mes bons copains, un journaliste nommé Jérôme Fandor et à nous deux sûrement qu’on vous tirera de cette cage-là.

— Ah, oui, hurla Hélène, sauvez-nous, sauvez-nous. Allez prévenir Jérôme Fandor.

Riquet ne demandait pas mieux. Il commençait à trouver étrange la conduite de Juve. Enfermer ainsi ces deux femmes… Subitement, comme malgré lui, il éprouvait le besoin de confier à quelqu’un ses appréhensions. Seulement le gamin ne voulait pas trahir Juve. Il n’était qu’un seul être à qui, sans trop indisposer contre lui le policier, il pouvait parler : Jérôme Fandor. Riquet, cependant calma Hélène. Protecteur il lui répondit :

— Vous bilez donc pas, d’abord ça me coupe mes moyens. Je peux pas voir des femmes se faire de la bile. Bien sûr que je vais y aller le trouver m’sieu Fandor. Même voilà ce qu’on va faire : De toute façon, vous m’attendrez ici, qu’il arrive n’importe quoi. C’est rapport au salé, ce que je vous dis, affirmait-il, ici, vous ne devez pas vous amuser beaucoup, mais après tout, vous ne semblez pas courir de danger immédiat. Tandis qu’en voulant vous esbigner, vous pourriez vous faire casser la margoulette. Bon. Quant à moi, je m’en vais tranquillement redescendre dans les caves. Puisque vous avez cherché partout madame Blanche, et vous mam’zelle Hélène, le moyen de vous en aller, en passant par le parc, et que vous n’avez rien trouvé, c’est probablement que le chemin est d’un autre côté. J’ai comme une idée que, par les sous-sols, il doit y avoir une communication avec l’extérieur. Bien du plaisir. Là-dessus je vous quitte. Je vous fait la révérence, j’m’en vais. J’en ai soupé de l’endroit. Je ne suis pas gros, c’est bien le diable si je ne trouve pas moyen de sortir. Et maintenant v’là trois heures qui s’aboulent faut que j’me tire des pattes, pendant qu’y fait encore nuit.

***

Ayant retrouvé le chemin des caves sans trop de peine, Riquet, quelques instants après, s’orientait donc dans les sous-sols du château. Il possédait pour s’éclairer, un vague bout de bougie, et une boîte d’allumettes.

Il devait visiter d’immenses sous-sols, suintants d’humidité, remplis d’objets à l’abandon, où, sans doute, il y avait de nombreux pièges, de nombreuses fosses à éviter, où toujours il pouvait craindre la surprise d’un gardien lui tombant dessus à l’improviste.

Riquet, le plus tranquillement du monde, sifflotant un refrain populaire, fouillait partout, perquisitionnait avec ardeur, se souciait aussi peu que possible des dangers qu’il courait, semblait n’être préoccupé que de trouver le moyen de quitter la maison inconnue :

— Bon Dieu, que je sorte seulement, se répétait-il de temps à autre, et après, on verra à se reposer. Je suis toujours à trois heures de Paris, en automobile, c’est vrai. Ça doit bien représenter quinze ou dix-huit heures de marche à pied. Je trouverai peut-être l’occasion de brûler le dur.

Or, tandis que Riquet découvrait dans un coin de la cave une sorte de petit escalier, tortueux et noir, qui s’enfonçait sous le sol, tandis qu’il commençait à en descendre les degrés, en se demandant si, par hasard, il n’avait pas la bonne fortune d’avoir découvert un souterrain, le gosse prêta l’oreille.

— C’est rigolo, se disait-il, j’entends comme un bruit d’eau. Est-ce que, par hasard, il y aurait une rivière qui passerait sous cette espèce de château-couvent ?

Riquet, dont la bougie était totalement usée et qui venait de perdre ses allumettes en faisant une chute, continua à descendre. Brusquement, il eut la sensation que l’escalier plongeait, en effet, dans une nappe d’eau. L’air qu’il respirait était plus humide, le froid des caves se faisait plus pénétrant.

— Mais qu’est-ce que ça veut dire ? monologuait-il, c’est donc là que les anciens châtelains avaient leur salle de bains ? ou bien que les moines venaient laver leur linge ?

Riquet descendit lentement, prenant garde de ne pas tomber. Or, soudain, comme il quittait une marche, il jeta un cri d’épouvante. C’est qu’en effet, sans que rien ait pu l’en avertir, il était précisément arrivé au bas de l’escalier. Son pied n’avait plus rencontré d’autres marches et, comme il était penché en avant, c’est en vain qu’il avait essayé de se retenir. Il était tombé, il avait glissé, roulé dans le vide. Dans une rivière, dans une nappe d’eau étendue sous le mystérieux château. Un autre, d’effroi, de surprise, d’épouvante, eût peut-être été paralysé. Mais Riquet, trop de fois, s’était amusé à se baigner dans la Seine, soit aux bains à quatre sous, soit au quai d’Austerlitz, en dépit des agents, pour n’être pas bon nageur. Tombé à l’eau, il se laissa couler, frappa le fond d’un vigoureux coup de talon, revint à la surface, faisant la planche.

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