Литмир - Электронная Библиотека
A
A

— Le Bedeau, s’écria-t-elle.

Et, cependant que Blanche ne comprenait pas et reculait instinctivement à l’extrémité opposée de la pièce, la fille de Fantômas voyait s’ouvrir devant elle des horizons nouveaux, rien que par la présence de cet homme. C’était en effet le Bedeau qu’elle avait devant elle, le Bedeau, l’un des plus redoutables apaches, l’un des êtres les plus brutaux et les plus féroces du monde, des bouges et des souteneurs. Le Bedeau était un personnage cruel et néfaste qu’Hélène ne pouvait voir apparaître devant elle sans ira serrement de cœur, car, cette apparition évoquait en elle toute une série de souvenirs, de drames, de tragiques événements, auxquels se mêlait toujours le souvenir de son père, de Fantômas qui, dans de si fréquentes circonstances, s’était trouvé à la tête de bandes de criminels dont le Bedeau avait toujours été l’un des plus acharnés.

L’apache cependant était demeuré stupéfait en présence d’Hélène. Lui aussi la reconnaissait et la saluait d’un surnom que, quelques mois auparavant, on avait donné à la jeune fille, dans le quartier de Belleville qu’elle habitait alors :

— La Guêpe, murmura-t-il, comment se fait-il que tu sois-là ?

Blanche Perrier, pâle comme un linge, venait d’assister à cette scène de reconnaissance, elle interrogea d’un ton alarmé :

— Vous vous connaissez donc ?

— Oui, nous nous connaissons.

Mais Hélène ne précisa pas et, se tournant vers le Bedeau, avec cet air d’autorité hautaine qu’elle savait prendre à l’occasion et qui lui permettait de dissimuler, sous une apparence d’indifférence, ses plus grandes appréhensions, elle interrogea :

— Que fais-tu ici toi-même le Bedeau ? que nous veux-tu ?

— Écoute, la Guêpe, tu n’es pas une mauvaise fille, quoi qu’on ait dit sur toi, je sais d’ailleurs qui tu es et qu’on peut te confier un secret. Je n’aurais pas dû me montrer, je suis monté ici parce que j’ai eu peur.

— Peur ? tu as eu pour toi, le Bedeau ?

— J’ai eu peur, poursuivit l’homme, qui, instinctivement se retournait et devint d’une pâleur livide.

« Voilà, fit-il, je vais te dire toute la vérité. Je suis ici le gardien de cette femme – et le Bedeau désignait Blanche – et j’ai l’ordre formel de ne pas me montrer, de ne pas laisser soupçonner ma présence. La Guêpe, supplia-t-il presque, tu ne diras à personne, n’est-ce pas, que j’ai désobéi, que je me suis fait voir ?

Hélène leva la main :

— Je te le promets, dit-elle, mais explique-nous pourquoi tu as enfreint la défense qui t’était faite ?

— Écoute, dit-il, je n’ai pas peur des vivants, certes, depuis que j’ai été si terriblement blessé, si près de la mort, que j’ai évitée grâce à tes soins, j’ai quelque peu perdu de ma vigueur physique, mais je suis encore robuste et courageux, donc, je n’ai pas peur des vivants, mais les morts me terrifient. Or j’en ai vu, j’en ai vu.

— Quand cela ?

— Cette nuit. Depuis que je suis ici, je vis constamment dans les sous-sols, dans les caves, alors comme je m’ennuie parfois, tu comprends, je fouille un peu de tous les côtés. Je sais que nous sommes ici dans une vieille demeure, un ancien couvent. Les religieux, ce sont des gens riches et j’ai pensé que peut-être, en s’en allant, ils avaient oublié d’emporter des objets de valeur. En visitant les souterrains de cet immeuble, j’ai découvert qu’ils étaient immenses, qu’ils se prolongeaient sous la maison, sous le parc et, cette nuit, guidé par je ne sais quel pressentiment je me suis engagé dans l’un d’eux. Je l’ai suivi, exploré, or figure-toi qu’à un moment donné l’espoir insensé que je formais s’est réalisé, crois-tu la Guêpe, que j’ai trouvé, dissimulé, enfoui dans le sol, un trésor, un véritable, oui, j’en suis sûr, il y a là des mille et des cents enfermés dans une vieille cassette, dans un coffret de fer.

« Mais cet argent je n’ai pas pu m’en emparer, parce que, vois-tu, au moment où j’allais creuser, j’ai vu dans le lointain quelque chose qui passait, un revenant, un fantôme, c’était une forme blanche qui glissait, rasant les parois du souterrain, il avait une chandelle allumée qui éclairait, ses yeux brillaient, sa langue était de feu.

— Tu es complètement fou, dit-elle sévèrement, on ne raconte pas des sornettes pareilles à des personnes sérieuses.

— Je te jure, la Guêpe, que j’ai vu, comme je te vois, ce revenant. Ah, je t’assure, c’était épouvantable, terrifiant, si bien que je n’ai pas osé rester, je suis parti.

Et le Bedeau, soudain s’interrompit. Son regard venait de s’arrêter sur la pendule qui ornait la cheminée :

— Trois heures, dit-il, il est déjà trois heures du matin ?

— Oui, pourquoi ? fit Hélène.

— Parce que, déclara l’apache, c’est l’heure de ma ronde autour de la propriété, quoi qu’il arrive, quoi qu’il advienne, il faut que je la fasse, je suis contrôlé chaque nuit et les ordres que j’ai reçus sont formels. Si j’y manque une seule fois, j’attire sur ma tête les représailles les plus terribles.

Le Bedeau fit mine de partir, malgré sa terreur de l’obscurité, il allait s’enfoncer dans l’ombre. Hélène le rappela :

— Le Bedeau.

— Qu’y a-t-il ?

— Un dernier mot. Pour le compte de qui agis-tu ici ? quel est ton maître ? qui t’a institué gardien de Blanche Perrier ?

— Nous le connaissons mieux que le Diable, toi et moi, la Guêpe. T’as compris ?

La jeune fille hocha la tête, en palissant.

Le Bedeau se retira. Il était à peine sorti que Blanche Perrier qui avait assisté à ce dialogue étrange sans y comprendre grand-chose, se précipitait vers son amie.

— Puisque tu connais cet homme, suggéra-t-elle, tâche d’obtenir de lui qu’il nous libère. Plus je reste ici et plus je me sens devenir folle, je mourrai de peur.

— Rien à faire avec cet homme-là. Le Bedeau est l’être le plus lâche et le plus redoutable à la fois qu’il soit au monde. Par peur, il est capable de tout et ne sert réellement les intérêts que d’un seul homme, celui qui l’a terrifié et qui le terrifie toujours.

— Quel est donc cet homme ?

Hélène ne dit rien.

La jeune fille songeait à l’histoire extraordinaire que le Bedeau lui avait rapportée quelques instants auparavant. Que signifiait cette découverte de trésor dissimulé dans ce souterrain et le fantôme, venant plonger dans le plus profond émoi l’homme cruel, brutal, sans doute, mais primitif aussi qu’était le sinistre Bedeau ? Et un désir insurmontable, immense, pressant, de savoir, s’empara de la jeune fille :

— Que fais-tu ? interrogea Blanche en voyant Hélène se diriger vers la porte, où vas-tu ?

— Je vais à la recherche du fantôme qui a fait peur au Bedeau.

— Hélène, ne fais pas cela, ne me laisse pas seule, supplia Blanche terrifiée.

— Alors, viens avec moi ?

Mais Blanche montrait son enfant :

Laissant Blanche terrorisée à l’idée de rester quelques instants seule, Hélène, bravement, s’achemina vers le rez-de-chaussée, puis descendit au sous-sol : à l’entrée des caves elle trouva un marteau, elle s’en empara, estimant qu’à tout hasard il valait mieux être armée.

Puis, se souvenant des indications du Bedeau, elle s’engagea dans le souterrain.

Un instant après, alors qu’elle ouvrait une porte de cave, un violent courant d’air s’éleva. La petite lampe qu’elle tenait à la main s’éteignit. En même temps un bruit vague, indistinct, comme une sorte de gémissement se fit entendre.

Le cœur d’Hélène battit à rompre :

— J’ai beau dire, pensa-t-elle et faire la brave, j’éprouve tout de même une certaine émotion, que diable se passe-t-il dans ce souterrain ?

La jeune fille eut l’idée, un instant, de retourner sur ses pas, de remonter.

— Bah, pensa-t-elle, s’il y a là des malfaiteurs, ils sauraient assurément où nous trouver. Ils se seraient déjà emparés de nous.

Hélène s’avança à tâtons dans le noir. De son marteau qu’elle tenait de la main droite elle auscultait les parois du souterrain qui résonnaient sourdement avec des bruits mats. Au bout d’une demi-minute, la jeune fille s’arrêta encore. Non seulement elle avait entendu du bruit, mais elle avait aperçu une lueur au loin.

33
{"b":"176523","o":1}