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— Lorsque j’ai fermé la porte de la prison de Jérôme Fandor, j’ai pris soin de faire immédiatement les formalités d’expédition de cette caisse… Malheureusement, pour une certaine partie d’entre elles, je m’en suis rapporté à lady Beltham…

— Mais, protestait Juve, vous mentez… Lady Beltham, à ce moment, n’était plus avec vous ?…

— Je ne mens pas, Juve… ce que je vous dis est encore une fois l’exacte vérité. Lady Beltham était partie, oui, c’est vrai, mais elle était partie connaissant mon projet, et je savais trop l’amour qu’elle avait pour moi, à ce moment encore, pour douter qu’elle ne fît aux époques arrêtées les démarches convenues… La caisse, une fois partie de Londres, j’étais assuré que lady Beltham finirait de s’occuper de son transit, Juve, et c’est cela qui me fait tout craindre maintenant. Depuis, j’ai dû comprendre que lady Beltham, qui refusait de venir témoigner à mon procès, me vouait une haine terrible de femme jalouse… et j’ai peur qu’elle n’ait changé la destination de la caisse où se trouvait Fandor…

— Si cela est, Fandor doit être mort de faim…

— Non, non, Fandor avait des provisions suffisantes… À coup sûr, il vit encore et je suis sûr qu’on peut le sauver si, maintenant, lady Beltham veut nous dire, veut me dire, car, à vous, elle n’avouerait jamais, où est Fandor…

Juve, assis sur le hamac du prisonnier, les coudes sur les genoux, la tête ensevelie dans les mains, donnait le spectacle d’un terrible chagrin…

— Ah ! déclara-t-il, tout cela est horrible Fantômas. Fantômas vous allez mourir, mais votre mort même ne sera pas une expiation suffisante à vos forfaits.

— Juve, dit doucement le bandit, je viens de me confier à vous. Allez-vous m’en payer par de la haine ? Oublierez-vous que j’ai une grâce à vous demander ?…

Le bandit avait calculé juste. Juve comprenait que Fantômas, en effet, venait de lui dire la vérité, venait, en lui confiant ce qu’il connaissait de Fandor, ce qu’il savait du sort du journaliste, de se livrer à lui. Il ne voulait pas être en reste de générosité…

— Fantômas, répondit-il, vous m’avez demandé – je ne sais trop pourquoi, et je ne veux pas le savoir – à revoir lady Beltham avant de mourir… Vous me prouvez maintenant que lady Beltham, seule, peut, sur votre ordre, me permettre de retrouver Fandor, je vous renouvelle ma promesse : soyez en paix… Si c’est cela que vous venez encore me demander, je ferai tout au monde pour que vous revoyez votre maîtresse…

Hélas ! tandis qu’il parlait, Juve ne pouvait s’empêcher de frémir, pris d’une angoisse secrète.,.

N’était-ce pas, en somme, dans trois jours, dans trois jours seulement, que l’on devait pendre Garrick ?

Était-il si certain que cela, en trois jours, de pouvoir retrouver lady Beltham ?…

— Juve, j’avais déjà votre promesse en ce qui concerne lady Beltham, et je ne doutais pas de vous. C’est une grâce nouvelle que je voudrais obtenir… Je vous la payerai en vous donnant au besoin, même si je ne pouvais revoir lady Beltham avant ma mort, le moyen de la faire parler de force, d’obtenir qu’elle vous indique où Fandor agonise…

Cette fois, Juve, d’un bond, se redressa :

— Vous feriez cela ? dit-il… Ah ! Fantômas je vous jure, encore une fois, que je vais tout faire au monde pour vous amener lady Beltham, mais, par pitié, oh ! par pitié, si je ne réussis pas, oui, donnez-moi le moyen de la contraindre à sauver Fandor…

— Je le ferai, déclarait lentement Fantômas, je le ferai Juve si, renonçant à m’épier pour quelques instants, vous confiant à ma parole que je ne m’évaderai point pendant votre absence – et d’ailleurs, vous savez qu’on ne s’évade pas d’une prison comme celle-ci – vous voulez consentir à courir chez Françoise Lemercier, pour la sauver de la mort, car vous seul, oui vous seul maintenant, pouvez peut-être la sauver !

Ah, cette fois, Juve ouvrit des yeux hagards, affolés.

— Sauver Françoise Lemercier, et moi seul puis la sauver ?… Fantômas, Fantômas, je ne vous comprends pas, qu’arrive-t-il donc ?…

— Il arrive, Juve, qu’on empoisonne Françoise, on l’empoisonne. Qui ? Je ne le sais pas.

D’une voix lente, torturée, Fantômas fit à Juve le récit de ce que lui avait rapporté Mistress Davis.

— Juve, affirmait le bandit, si j’étais libre, moi, Fantômas, je saurais bien sauvegarder Françoise de ceux qui la tuent… Mais je suis prisonnier, et je n’ignore pas qu’il n’y a qu’un homme au monde, assez habile pour me remplacer. Cet homme, c’est vous. Et c’est pourquoi je vous implore… Voulez-vous sauver Françoise ?

Juve, déjà, était debout :

— Je le veux, dit-il… Mais, Fantômas, Fandor sera libre ?

— Vous sauverez Fandor si Françoise vit…

Cette fois, Juve n’en demanda pas plus. Il traversa la cellule, il gagna la porte, prêt à frapper, pour se faire ouvrir par le gardien.

Ce fut Fantômas qui le rappela :

— Juve, avouait le bandit, il faut que je vous donne une indication précieuse… si toutefois vous ne l’avez point déjà devinée… Jack, le fils de Nini, vous n’ignorez pas qu’il est mort ?

— Non, je ne l’ignore pas… oh ! j’ai compris vos ruses, Fantômas. Celui que lord Duncan appelle maintenant son fils, c’est, n’est-ce pas, le petit Daniel, l’enfant de Françoise, l’enfant que vous avez volé à votre maîtresse pour le donner à Nini et faire chanter le riche Anglais ?

D’une voix sourde, Fantômas, baissant la tête, vaincu, prostré, reconnut :

— Oui, Juve, oui, le Jack qui vit, c’est Daniel… Daniel que j’ai volé à Françoise… un crime qui me fait peur quand j’y songe, car c’est en somme de lui que viennent tous mes malheurs actuels…

Et telle était à ce moment la douleur de Fantômas que Juve lui-même eut pitié de lui.

S’abstenant de répondre pour ne pas accabler le bandit dont il triomphait enfin, il appela le gardien.

Mais comme pour la seconde fois Juve allait frapper, celle-ci s’ouvrit et Juve, reprenant son rôle de policeman, s’effaça pour laisser entrer celle qu’introduisait le gardien : Mistress Davis.

***

Fantômas, maintenant, écroulé sur son hamac, pleurait.

Devant lui, le policeman 416, Juve, le front contracté, les sourcils froncés, l’air ému, se tenait sans rien dire…

C’est que mistress Davis, mistress Davis, qui, depuis quelques minutes à peine, venait de quitter la cellule où Garrick sanglotait, y était venu précisément pour y apporter l’affreuse nouvelle : Françoise Lemercier était morte.

Ah ! certes, si Fantômas, à l’abominable annonce de ce deuil s’était écroulé sur son hamac, comme frappé en plein cœur, Juve, lui-même, s’était senti terriblement inquiet.

Françoise morte, Juve songeait que Fantômas, peut-être, se renfermerait dans un mutisme dédaigneux, refuserait de l’aider à sauver Fandor…

Si jamais le bandit s’obstinait à ne vouloir guider le policier qu’au cas où celui-ci retrouverait lady Beltham avant sa mort, Juve devait s’avouer que le sort de Fandor était compromis. Où chercher lady Beltham ? où la retrouver dans les trois jours qui restaient avant l’exécution de Garrick ?

Et tandis que Juve réfléchissait, sombrement inquiet, il tressaillit, entendant le bandit lui dire encore :

— Juve, Juve, vengez-moi, en vengeant Françoise… Allez là-bas !… Ah, si vous avez besoin d’une nouvelle promesse, je vous la donne encore… Arrêtez les assassins de Françoise, mettez tout en œuvre pour me faire voir lady Beltham avant ma mort et, de même que je ne doute pas de vous, ne doutez pas de moi : je vous jure que, de mon côté, je m’arrangerai pour que vous puissiez retrouver votre ami.

24 – LA CAPTURE DE BEAUMÔME

La maison qu’habitait la malheureuse Françoise Lemercier, dans la cité de Londres, comportait, comme la plupart des demeures anglaises, deux issues bien distinctes.

L’une, la principale, qui faisait communiquer les appartements avec Jewin Street, l’autre, réunissant l’immeuble à une courette intérieure qui elle-même aboutissait sur un passage étroit, passage par lequel les fournisseurs, porteurs de charbon, etc., avaient coutume de faire leurs livraisons.

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