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— Ouf, qu’y a-t-il ?

— Allons, pas de manières. Debout.

— Maïs que me voulez-vous ?

— T’occupe pas, jeune homme, obéis, sans quoi le rigolo va parler.

Brusquement arraché au sommeil, Jérôme Fandor voyait braqués sur lui plusieurs canons de revolver :

Ah çà, par exemple, que lui arrivait-il encore ?

Avec stupéfaction le journaliste regardait l’homme qui le menaçait ainsi et derrière lequel se trouvaient trois ou quatre individus aux mines farouches, qui semblaient fort décidés à ne pas laisser le journaliste s’écarter d’un pouce de la ligne de conduite qu’on voulait lui imposer.

— Bougre, pensa Fandor, voilà qu’il y a encore de « l’eau dans le gaz », que signifie cette nouvelle histoire ?

Jérôme Fandor était exténué par ses marches, contremarches, courses folles pendant toute la nuit.

Fandor, depuis qu’il avait arrêté et ligoté Ivan Ivanovitch, pourchassé la fille de Fantômas, fui avec elle devant Juve, couru retrouver le policier, pour repartir sur les traces de Fantômas, n’avait pas fermé l’œil.

Les incidents du Casino ne devaient pas contribuer à lui rendre le calme.

Le journaliste avait encore couru à perdre haleine.

Enfin, vers deux heures du matin, alors que de guerre lasse il se rapprochait de la tanière de Bouzille, il était tombé sur un talus de verdure, à l’ombre de grands arbres, il s’y était endormi du sommeil du juste.

À présent, il se frottait les yeux et regardait ses agresseurs.

— Hé, s’écria-t-il, soudain, d’une voix qu’il voulait rendre aimable, hé, parbleu, mais c’est l’ami le Bedeau qui braque sur moi son rigolo.

Le Bedeau ne broncha pas.

Il hocha la tête affirmativement, mais sur ses lèvres il y avait un sourire féroce.

Fandor continua son identification par le Barbu qu’il reconnut aussi.

Puis il s’écria :

— Mais décidément nous sommes en plein pays de connaissances, voilà, si je ne me trompe, ce brave Œil-de-Bœuf, l’ancien copain de Bec-de-Gaz.

Tous ces hommes n’avaient plus ces allures d’apaches qui leurs étaient propres lorsqu’ils habitaient Paris.

Pour « opérer » à Monaco, ils s’étaient mis à l’unisson de l’élégante clientèle de la Côte d’Azur. Ils s’étaient habillés, les uns en cochers de bonne maison, les autres en conducteurs d’automobile.

Fandor reconnut aussi le quatrième individu qui se tenait à quelques mètres en arrière :

C’était Mario Isolino.

— Le bonneteur, s’écria-t-il, stupéfait de le voir en liberté.

Mario Isolino, fort ennuyé d’être identifié, se rapprocha d’un pas et par prudence il allait protester qu’il ne tenait qu’un rôle de figurant dans toute cette affaire, mais le Bedeau, d’une poussée brusque, le renvoya en arrière :

— Toi, le macaroni, hurla-t-il, tâche de la boucler, on ne te demande pas ton avis.

Mario Isolino ne se le fit pas répéter.

Il pirouetta sur les talons et se tint prudemment à l’écart, décidé, cette fois, à ne plus souffler mot.

L’Italien avait scrupuleusement exécuté les ordres de Fantômas.

Au lieu indiqué, il avait trouvé la bande, il avait remis le filet au Bedeau, puis suivi celui-ci et ses compagnons, le Bedeau lui en ayant donné l’ordre.

Les paroles cordiales de Fandor ne faisaient aucune impression sur ses agresseurs. Le journaliste s’en rendait compte et considérait avec un ennui croissant les canons de revolver braqués sur sa poitrine. Que lui voulait-on ?

Fandor était intrigué au plus haut point.

Il n’allait pas tarder à le savoir.

— Fandor, interrogea le Bedeau, bas les masques aujourd’hui. Tu sais ce que c’est qu’une mouche ?

— Ma foi, dit Fandor, je m’en doute du moins. Ça a des ailes, ça bourdonne.

Le Bedeau l’interrompit :

— Ça bavarde aussi et bien trop souvent. Et les mouches, sais-tu ce qu’on en fait ?

— Ma foi, poursuivit Fandor qui commençait à s’inquiéter sérieusement, j’imagine qu’on ne s’en occupe guère et qu’on les laisse aller et venir…

— Non, interrompit encore le Bedeau qui ajouta d’une voix féroce :

— Une mouche, quand on la tient, on l’écrase. On les détruit les mouches, comme nous allons te détruire, comme des sales bêtes qu’elles sont, comme une sale bête que tu es.

« Ah, parbleu, poursuivait l’apache en s’animant, s’il y a des copains qui se baladent aujourd’hui à la Nouvelle, s’il y en a d’autres qui pourrissent en Centrale, s’il y en a d’autres qui attendent leur passage au tourniquet, s’il y en a même qui ont été envoyés au champ de navets, c’est bien rapport à toi, Fandor, rapport à ta crapule d’ami Juve. Nous autres, on te guigne depuis longtemps, on te tient, ton affaire est claire. Faut payer, Fandor. L’heure est venue. On raque d’avance. C’est ta peau qu’il nous faut.

— Bon, pensa Fandor, ça va mal. Et à haute voix, il leur jeta :

— Vous êtes des salauds et des lâches. Tuez-moi donc puisque vous le pouvez. Je vous jure que si c’était en mon pouvoir, je ne manquerais pas d’en descendre quelques-uns. Eh bien, tire donc, Bedeau de malheur, si tu ne veux pas que je t’abatte comme un chien.

Fandor avait fait un bond en arrière.

Résolu désormais à lutter sauvagement, à défendre son existence avec une indomptable énergie, il avait d’un geste rapide, porté la main à sa poche, y avait saisi son revolver.

Mais son bras aussitôt avait été arrêté, il avait reçu sur le poignet un choc si violent qu’il dut lâcher son arme :

— Ça y est, jura-t-il, je suis foutu.

Instinctivement, Fandor ferma les yeux, pensa à Juve.

Il eut un tendre souvenir pour la fille de Fantômas.

Les secondes lui parurent des heures.

Et le journaliste, encore qu’il fût immobilisé, sans se rendre compte comment ni pourquoi, encore qu’il fût par terre, le visage enfoncé dans la poussière, n’entendait pas claquer le revolver.

Il entendait ses agresseurs parler :

— Ça va bien pour les cordes, déclarait le Bedeau… et maintenant le filet.

Fandor, attaché par les pieds et les poings, vit alors Mario Isolino qui s’approchait, sur un signe du Bedeau, et étendait par terre, à côté de lui, future victime des apaches, un grand filet aux mailles serrées, aux fils solides et résistants, sorte de nasse de pêche ou de hamac.

— Que diable vont-ils faire de moi ? pensa Fandor dont le cœur battait à lui rompre la poitrine.

Comme s’il avait deviné sa pensée, le Bedeau le renseigna avec un sourire sardonique. Il expliqua :

— Les revolvers font du bruit et l’on retrouve ceux qui ont tiré rien qu’à la blessure faite qui détermine la grosseur des balles. Tu connais ça, pas vrai, Fandor, l’apprenti policier ? Nous aussi. Faut pas croire que nous sommes des imbéciles. D’ailleurs on a des ordres pour ne pas trouer la peau, mais il y a mieux à faire et tu vas bien voir.

Le Bedeau se tourna alors du côté de ses compagnons :

— Allez, vous autres, le Barbu, Œil-de-Bœuf, empoignez-moi ce colis et en route pour la falaise. Moi je passe devant pour faire, s’il le faut, la trouée. Macaroni fermera la marche.

En un clin d’œil, Fandor, de plus en plus immobilisé, roulé, cousu pour ainsi dire dans son filet, était hissé sur les épaules des deux lieutenants du Bedeau.

Il comprenait le sort qui l’attendait.

On allait le précipiter du haut d’un rocher dans la mer.

Mais peu lui importait à ce moment.

L’issue terrible de l’aventure qu’il prévoyait ne l’émotionnait pas, car Fandor, des propos tenus par le Bedeau, n’avait retenu qu’une chose :

C’est que l’apache avait reçu des ordres et qu’il s’y conformait.

Les ordres de qui ?

Parbleu, il n’y avait pas moyen d’en douter, ce n’était, ce ne pouvait être que Fantômas.

27 – DANS LE VIDE

— C’est vous, monsieur Juve ?

— Oui, M. de Vaugreland, c’est moi. Vous m’avez fait appeler ?

— En effet, je désirais vous entretenir. Prenez un siège.

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