Dick était, en effet, à cent lieues de soupçonner que l’homme qui venait de l’inviter délicatement à partir n’était autre que Fantômas.
Le sinistre bandit, décidément, le Maître de l’Effroi, le génie du crime, l’homme aux cent visages, se trouvait sans cesse partout où il avait besoin d’être, et chaque fois qu’on ne l’attendait pas. À peine Fantômas avait-il vu s’éloigner l’acteur que son visage, adroitement maquillé, prit une expression de hideuse satisfaction. Le sinistre bandit, furetant dans le salon comme pour se donner une contenance, allait jusqu’à la porte de la pièce dans laquelle s’était enfermée Sarah. Il écouta :
— Elle pleure, murmura-t-il, elle sanglote, c’est donc qu’elle l’aime. C’est donc qu’elle doit périr.
Et il essaya de tourner le bouton de la porte. Mais un cri de dépit s’esquissait sur ses lèvres :
— Malédiction, elle est enfermée à double tour, et comme je ne veux point de scandale, il va falloir attendre.
Une lueur féroce illuminait ses yeux, cependant qu’il poursuivait à mi-voix :
— Elle n’y perdra rien pour cela.
Dick était sorti précipitamment de l’hôtel. Il ne remarqua point un mendiant qui lui tendait la main. Le jeune acteur était trop préoccupé de son propre chagrin, de ses douleurs personnelles, pour s’émouvoir de la souffrance des autres.
Le mendiant paraissait bien digne de pitié, pourtant. Il était tout courbé sur une canne qui paraissait indispensable pour le soutenir, car il boitait effroyablement. La jambe gauche, repliée, était supportée par une béquille. Quelque pauvre hère, sans doute, victime d’un accident et condamné depuis lors à l’inaction, à la mendicité.
Cet impotent, toutefois, semblait bien impatient, car sitôt Dick sorti de l’hôtel, il n’attendit pas le passage d’un autre client moins distrait et plus généreux et déguerpit aussi vite que le lui permettait son infirmité, laquelle, d’ailleurs, semblait le gêner de moins en moins au fur et à mesure qu’il s’écartait de la façade de l’hôtel.
Soudain l’homme murmura ces étranges paroles :
— Maintenant que je sais qu’ils étaient là tous les trois. Il ne me reste plus qu’à tirer l’affaire au clair et à déterminer ceux auxquels il importe de mettre la main au collet.
L’infirme, soudain, venait de rencontrer un cuisinier de l’hôtel qu’il aborda familièrement. Ce cuisinier, d’ailleurs, l’interrogeait en ces termes :
— Eh bien, patron, mes renseignements étaient-ils bons ?
Le mendiant infirme répondit :
— Excellents, mon cher Michel. Nous allons certainement aboutir à quelque chose, et avant ce soir.
L’homme qui venait de s’exprimer ainsi, qui s’était adressé à Michel, inspecteur de la Sûreté déguisé en garçon de cuisine, n’était autre que Juve, le célèbre et subtil policier. Par suite de quelles circonstances Juve se trouvait-il donc là ?
Deux heures auparavant, le policier était à la gare du Nord et se disposait à prendre le train pour Enghien. Fandor était venu l’accompagner. Juve avait dit au journaliste :
— Voilà pas mal de temps déjà que je suis sur la piste de cette charmante Américaine, qui me fait l’effet d’être très mystérieuse et d’avoir dans ses relations des gens qui, de près ou de loin, doivent être affiliés à la bande de Fantômas. Elle était indirectement mêlée à l’affaire des billets de banque volés. Je l’ai retrouvée dans le Cercle de la rue Fortuny. Elle a disparu soudain de Paris pour aller s’installer à Enghien, elle est intime avec l’acteur Dick, lequel acteur, précisément, a été remplacé hier soir dans son rôle au Théâtre Ornanopar un effroyable assassin qui n’est autre, j’en suis sûr, que Fantômas. Qu’est-ce que tout cela signifie ? Il faut que je le sache. C’est pourquoi je me rends à Enghien où je sais, par mes rapports, que l’acteur Dick doit venir voir son amie Sarah. Viens-tu avec moi, Fandor ? tu pourrais m’être de quelque utilité…
Le journaliste, toutefois, avait rougi imperceptiblement, il avait décliné l’offre de Juve.
— Écoutez, mon bon ami, fit-il, si vous n’avez pas un besoin pressant de moi, aujourd’hui, laissez-moi donc. J’attends quelqu’un que je ne voudrais pas manquer, sauf dans un cas extraordinaire.
Juve aux paroles de Fandor avait souri :
— Parbleu, je le savais bien. Ah jeunesse ! Quand l’amour vous tient ! C’est ton Hélène que tu attends, canaille ! Eh bien soit, reste avec elle, passe une bonne journée, dites-vous vos projets, échangez des propos tendres, et demain, ne manque pas de venir chez moi, nous aurons à causer.
Heureux comme un enfant à qui on permet de faire l’école buissonnière, Fandor serra chaleureusement les mains de Juve qu’il quitta pour courir au rendez-vous de celle qu’il aimait, depuis si longtemps et avec tant d’ardeur.
Si Juve avait vu Fandor à neuf heures du soir, il aurait été désespéré de l’attitude de son ami.
Le journaliste, en effet, avait passé une journée entière en proie aux plus mortelles inquiétudes. En vain depuis deux heures de l’après-midi, il avait attendu Hélène. Hélène n’était pas venue.
***
— Enfin, monsieur, m’expliquerez-vous ce que vous voulez ?
— Je n’ai peut-être pas à vous le dire, mademoiselle, et le seul fait de votre présence ici me prouve que vous avez compris.
— Non, monsieur.
— Je vous demande pardon… Si, mademoiselle !
Dans une pièce à peu près déserte, mal éclairée, sans meubles, deux êtres humains échangeaient ces paroles discordantes.
C’étaient un homme et une femme, jeunes et beaux tous les deux : l’acteur Dick et Hélène, la fille de Fantômas. Par suite de quelles circonstances et de quels singuliers événements, se faisait-il que l’acteur et la jeune fille, se trouvaient ainsi en présence ?
Il était six heures du soir, et cet entretien avait lieu à Enghien, dans une maison déserte, abandonnée, semblait-il, et isolée à l’extrémité du lac, sur le bord de la route pavée qui se dirige vers Saint-Denis.
Quelques heures auparavant, alors qu’Hélène se disposait à se rendre chez Fandor, avec lequel elle avait rendez-vous, elle était abordée par un individu dont elle ne voyait point le visage, car l’homme affectait, tout en se tenant près d’elle, de ne pas marcher à sa hauteur et de rester toujours un peu en arrière, afin évidemment qu’elle ne le vît point.
En pleine rue, cet homme avait murmuré quelque chose à l’oreille de la jeune fille, et il faut croire que les propos qu’il avait tenus la troublaient singulièrement, car, changeant brusquement d’itinéraire, au lieu d’aller chez Fandor, Hélène s’était dirigée vers la gare du Nord.
Elle avait pris le premier train en partance pour Enghien, puis, sitôt arrivée, elle avait demandé un renseignement à un sergent de ville et s’était dirigée à grands pas vers cette maison déserte, dans laquelle elle pénétra sans la moindre hésitation, émue cependant au plus haut point.
Hélène monta au premier étage de cet immeuble qu’elle ne connaissait pas, exécutant simplement à la lettre et avec une obéissance passive les instructions que lui avait données le mystérieux personnage qui l’avait abordée dans la rue à Paris.
Elle était désormais en face de Dick. Il n’y avait pas de doute, en effet, elle reconnaissait sa voix. L’homme ne dissimulait d’ailleurs pas sa personnalité et lorsque Hélène lui avait dit : « Je sais que vous êtes l’acteur Dick », il n’avait pas protesté.
— Que voulez-vous ? reprit la jeune fille. Que voulez-vous de moi ? Pourquoi m’avoir attirée dans ce lieu ?
L’acteur s’inclina devant elle.
— Merci, dit-il, merci d’être venue. J’avoue que c’est à peine si j’osais l’espérer.
— Vraiment ? interrompit Hélène. Il me semble pourtant, qu’après ce que vous m’avez dit et révélé tout à l’heure, il m’était impossible de faire autrement. Vous avez évoqué de tels souvenirs et rappelé des choses si tragiques que je ne pouvais pas refuser de venir.
Renonçant à son attitude respectueuse, Dick, dont les yeux lançaient des éclairs, déclara triomphalement :