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Juve contemplait cette petite tache depuis quelques minutes lorsqu’il tressaillit. L’explication il l’avait.

Et non seulement il comprenait cette petite tache, mais encore elle servait à éclaircir dans son esprit un autre mystère, un mystère qui l’avait intrigué au plus haut point la veille, alors qu’il était à la fumerie d’opium, le mystère du crâne qu’il avait vu près de son voisin et qui n’existait pas.

Mais Juve ne s’attardait pas plus longtemps à son examen.

Une autre remarque maintenant sollicitait son attention :

Comme ce crâne était lourd. Pourquoi était-il si pesant ?…

Juve en lui-même décida :

« Sûrement, il doit y avoir quelque chose de caché dans ces ossements.

Juve, toutefois, hésitait à briser la tête de mort.

Même, il ne la maniait qu’avec une extrême précaution. C’est qu’il savait, en somme que c’était en tenant cette tête de mort, tout comme il la tenait lui-même, que le lieutenant Wilson Drag avait été mordu.

Et Juve naturellement, se souciait peu d’être victime d’un semblable empoisonnement.

Juve, pourtant, et quelque légitime frayeur qu’il ressentît à l’idée qu’après tout il était fort possible qu’il se blessât, comme s’était blessé Wilson Drag, n’hésitait pas.

« Il doit y avoir un secret qui permet d’ouvrir cette boîte crânienne ? quel secret ?

Et se rapportant par la pensée à la blessure de Wilson Drag, Juve songeait :

« Cet officier a été mordu alors qu’il brandissait le crâne comme une masse. S’il a été mordu, c’est assurément que la charnière a manœuvré sans qu’il s’en rendît compte. Or, comment tenait-il ce crâne pour le brandir ? Quelle est la façon la plus commode pour empoigner une tête de mort ?

Juve tout en prenant grande attention, tournait et retournait les ossements.

Et voilà qu’à un moment, comme il avait introduit ses mains sous la mâchoire, comme il pressait sur l’une des dents, avec un claquement sec, le claquement d’une boîte à ressort, le crâne s’ouvrit.

Juve pensa s’évanouir de stupéfaction.

À ses pieds, venait de rouler sur le sol, au milieu de boules de plomb qui rendaient le crâne si lourd, un rouleau de parchemin.

… Abandonner le crâne, se saisir de ces papiers précieux, se précipiter vers la lumière, dépouiller ces parchemins, c’était pour Juve l’affaire de quelques secondes.

Le parchemin qu’il tenait lui révéla le plus surprenant des secrets.

Ce parchemin, c’était l’acte de naissance d’un enfant, d’une femme du nom d’Hélène Gurn… Cette Hélène, Juve n’en pouvait pas douter, les documents qu’il avait sous les yeux, les détails qu’il lisait avidement l’établissaient sans réplique, cette Hélène, c’était la fille de Fantômas.

Juve accablé déchiffra en hâte les autres documents qu’il tenait.

Et il allait de découvertes ahurissantes en découvertes ahurissantes.

Il trouva d’abord des titres de propriété qui prouvaient que cette Hélène, cette fille de Fantômas était colossalement riche, que c’était pour elle, à coup sûr, que, depuis des années, Fantômas avait accumulé les crimes.

Détail qui fit blêmir Juve, Fantômas, pour être sûr de retrouver sa fille quand il le voudrait, avait inventé cette ruse ingénieuse :

Sur la chair délicate du bébé qu’il abandonnait, à la nuque, il avait fait tatouer par un artiste extraordinaire qu’il avait tué pour qu’il ne pût jamais révéler le secret, une minuscule tête de mort.

C’était, disait le document, un « tatouage si fin, si petit qu’à l’œil nu il était presque impossible de le distinguer. Mais il suffisait de l’examiner à la loupe pour reconnaître immédiatement les contours de la tête de mort ».

Et ce tatouage, ce tatouage mystérieux, le document ajoutait encore qu’il était reproduit agrandi de moitié et pourtant encore invisible sur le crâne même dans lequel était enfermé le parchemin.

La tache noire que tout à l’heure il avait examinée avec tant de surprise, sur le sommet du crâne c’était donc le tatouage…

Et le crâne qu’il avait cru voir la veille à la fumerie, le crâne qu’il avait aperçu entre lui et Teddy et qui pourtant n’existait pas c’était tout simplement le crâne tatoué sur la nuque de Teddy, le crâne que le vase à fleurs rempli d’eau et formant loupe, lui avait montré grossi amené à une grandeur naturelle qu’il avait parfaitement aperçu chaque fois qu’il regardait à travers le vase, qu’il ne voyait plus dès qu’il essayait de le voir en se penchant par-dessus le vase.

Mais alors ? Alors ?…

Juve titubait devant cette révélation inattendue, cette révélation stupéfiante.

Si Teddy, si le jeune adolescent qui avait été son voisin à la fumerie portait sur la nuque un crâne tatoué, c’est que Teddy était une femme, c’est que Teddy s’appelait en réalité Hélène, c’est que Teddy était la fille de Fantômas.

***

Deux heures plus tard, l’ossuaire avait repris son calme.

Les crânes que Juve avait bouleversés, avaient été soigneusement remis en place par lui. Le crâne mystérieux lui-même était retourné dormir sous la pile des autres crânes. Rien ne bougeait plus.

Hans Elders était libre de venir à l’ossuaire pour rechercher les ossements auxquels il tenait tant.

Et, bien assurément, le maître de Diamond City ne s’apercevrait pas, alors, que sous une pile de squelettes, retenant son souffle, serrant d’une main son revolver, de l’autre étreignant dans la poche de son veston son portefeuille où il venait de cacher les parchemins découverts de façon si fortuite, Juve guettait, prêt à bondir sur ceux qui viendraient toucher à la tête de mort à qui Fantômas n’avait pas craint de confier les secrets de sa fille.

26 – LE PASSÉ NE MEURT PAS

Il y avait quelques minutes à peine que Hans Elders venait de s’installer dans son cabinet de travail. Le maître de Diamond House était absorbé par une besogne assez délicate, la vérification du compte de ce qu’il devait à ses courtiers. Occupé aux additions et aux soustractions, il ne levait pas les yeux de la page blanche sur laquelle, d’une écriture appuyée et ferme, il inscrivait des chiffres à la suite les uns des autres.

Or, soudain, palissant, Hans Elders se redressa d’un mouvement si brusque qu’il renversait derrière lui le fauteuil sur lequel il avait pris place. Une voix métallique, étrange, hautaine :

— Bonjour.

Hans Elders qui se croyait seul, Hans Elders qui peut-être avait reconnu cette voix, en demeurait livide, muet, incapable d’articuler un mot.

Pourtant la voix reprenait, du même ton :

— Bonjour, Hans Elders, comment allez-vous ?

Alors, les yeux dilatés, Hans Elders aperçut dans le fond de son cabinet, sortant d’un recoin rempli d’ombre où jusqu’alors il s’était tenu dissimulé, un homme qui s’avançait vers lui, souriant, les bras croisés, le regard flamboyant.

— Vous, vous.

 L’homme qui venait rendre visite à Hans Elders, et dont le seul aspect semblait lui causer tant de frayeur, reprit pour la troisième fois :

— Hans Elders, bonjour.

Puis, accentuant encore l’intonation moqueuse de sa voix, il ajouta :

— Parbleu, mon camarade, vous avez l’air plus surpris que charmé de ma visite. Vous ne m’attendiez pas ? Vous n’êtes pas charmé de me revoir après plus de douze ans d’absence ?

Alors des lèvres serrées de Hans Elders, un mot siffla, un mot qu’il osait à peine prononcer, qu’il prononçait comme avec une hésitation :

— Fantômas.

Fantômas, d’ailleurs, semblait jouir, prodigieusement amusé, de l’extraordinaire frayeur qui s’était emparée de Hans Elders…

— Fantômas répéta-t-il, en imitant cette fois la voix tremblante du maître de Diamond House, comme vous dites cela, mon camarade. Il semble, en vérité, que vous n’osiez pas me reconnaître ? Voyons, Hans, quel trouble s’est donc emparé de vos esprits ? Pourquoi êtes-vous donc si tremblant ? Pourquoi manifestez-vous une crainte que rien ne justifie ? Jadis, ne vous avais-je pas juré, à l’heure où nous nous séparions dans les plaines sauvages du veld, à l’heure où tout autour de nous n’était que ruines, incendies, dévastations, à l’heure où les fermes brûlaient, de toutes parts, ne vous avais-je pas juré que je reviendrais ? Doutiez-vous de ma parole, par hasard ? Étiez-vous si absorbé dans vos occupations, que mon nom fût jamais arrivé jusqu’à vos oreilles, mon nom que j’ai su faire illustre, redoutable, respecté même ? Ainsi que je l’avais promis encore.

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