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Dans la cheminée, une bûche s'écroula dans une gerbe d'étincelles, roula devant l'âtre. Catherine se leva, prit les pincettes et replaça la bûche dans le brasier. Puis revint à son banc. Le Noir avait remué un peu, grognant vaguement dans son sommeil, mais Arnaud n'avait pas bougé. Avec un soupir, la jeune fille se laissa aller contre le dossier de son siège. Le vacarme de l'orage s'éloignait. Seule, la pluie crépitait encore sur le toit mais, dans la chambre bien close, il faisait bon et l'on se sentait à l'abri.

Peu à peu, le bruit monotone des gouttes d'eau agit sur Catherine dont la tête s'alourdit. Elle finit par s'endormir, à demi couchée sur le banc. Elle ne vit pas la porte s'ouvrir et le volumineux turban du petit médecin maure apparaître dans l'embrasure. Les yeux vifs parcoururent la chambre, s'arrêtèrent d'abord sur le blessé mais, constatant qu'il dormait paisiblement, ne s'y attardèrent pas. Par contre, une étrange expression se peignit sur le visage cuivré en découvrant Catherine endormie sur son banc. Le premier mouvement d'Abou-al-Khayr fut d'aller vers elle pour l'éveiller, mais il s'arrêta en chemin, haussa les. épaules. Un sourire ironique retroussa ses lèvres et, aussi doucement qu'il était entré, il quitta la chambre, refermant sans bruit la porte derrière lui.

Catherine ne sut pas que le petit médecin, rencontrant Mathieu dans la galerie, lui avait formellement déconseillé d'entrer chez le blessé, alléguant la légèreté de son sommeil fébrile. Et le drapier s'en était allé coucher à l'écurie sans se douter que sa nièce dormait dans la chambre du chevalier.

Vers quatre heures et demie du matin, Catherine ouvrit ses paupières qui lui parurent pesantes. Le jour commençait à poindre et, dans la basse-cour de l'auberge, un coq enroué essayait de faire croire qu'il chantait le nouveau soleil. Arnaud ne semblait pas avoir bougé d'une ligne et, devant l'âtre éteint et froid, le Nubien dormait toujours, ronflant avec obstination. Avec quelque peine, et non sans grimacer de douleur, Catherine se redressa. Son dos et ses reins lui faisaient mal. Sans faire de bruit, elle alla à la fenêtre, l'ouvrit pour regarder au-dehors.

La pluie avait cessé, encore qu'elle demeurât à terre sous forme de grandes flaques où se reflétait la lumière rose du ciel. Les arbres, les feuilles étaient vernis de neuf. Cela sentait l'étable chaude et la terre mouillée, une bonne odeur de campagne que la jeune fille respira avec délices. Elle s'étira comme une chatte avec des mouvements lents et gracieux, bâilla puis, posément, défit ses nattes emmêlées pour donner de l'air à ses cheveux. À pleines mains elle les gonfla, les fit mousser, heureuse de sentir leur soie vivante sur son dos. Puis, refermant la fenêtre, elle revint vers le lit.

Les yeux fermés, le blessé dormait avec application, une moue légère à ses lèvres dures, un pli creusé à la racine du nez. Il semblait si jeune, ainsi, tellement désarmé et attendrissant que Catherine ne résista pas à l'impulsion qui lui vint. Se laissant glisser à genoux auprès du lit, elle appuya sa joue à la main brune, abandonnée, paume en dehors, sur la couverture. Elle était chaude, cette main, mais la peau, durcie par le maniement quotidien des armes, râpait un peu. Catherine y colla ses lèvres avec une ferveur qui la surprit. Une boule se gonflait dans sa gorge. Elle avait à la fois envie de pleurer et de rire. Mais, surtout, elle souhaitait inconsciemment que cette minute de douceur durât une éternité. Le monde, autour d'elle, s'était évanoui. Il n'y avait qu'elle et Arnaud, enfermés dans un cercle magique, aux invisibles murs duquel se brisait la réalité. Pour un instant, il était à elle, à elle seule...

Prisonnière d'un charme tout-puissant, Catherine ne se rendit pas compte que, sous ses lèvres, la main bougeait, qu'une autre main se glissait dans le flot de ses cheveux répandus sur le lit. Mais, quand les deux mains réunies emprisonnèrent son visage et le soulevèrent, elle comprit que le blessé était réveillé. Tourné sur le côté, à demi soulevé sur un coude, il la regardait et, lentement, l'attirait à lui. Elle poussa un petit cri, voulut dégager sa tête.

— Messire... laissez-moi. Je...

— Chut ! fit-il seulement. Tais-toi !

Subjuguée par l'autorité du ton, elle se tut, cessa de se défendre.

Elle n'en sentait ni l'envie ni la force. Dans sa poitrine, son cœur cognait si fort qu'il l'étouffait presque. Elle était fascinée par la passion de ces yeux noirs, à chaque instant plus proches. Les mains du jeune homme avaient quitté son visage. Il l'enfermait maintenant dans ses bras, l'attirant auprès de lui sur le lit irrésistiblement, avidement...

Quand il la coucha contre lui, coincée par les muscles durs de sa poitrine, Catherine frissonna de tout son corps. Une sueur légère mouillait la peau brune du jeune homme. Il sentait le lit chaud, la fièvre et une autre odeur qu'elle ne pouvait définir, peut-être le baume dont sa blessure à la tempe avait été enduite ? Arnaud respirait fort et son souffle emplissait les oreilles de sa prisonnière consentante. Elle l'entendit jurer entre ses dents parce que sa jambe immobilisée le gênait. Mais elle ne chercha pas même à se défendre.

Inconsciemment, elle avait attendu depuis toujours un moment comme celui-là...

Elle gémit pourtant quand la bouche dure s'abattit sur la sienne, la violentant avec une ardeur d'affamé. Des bruits de cloches éclataient dans sa tête, un carillon de joie aussi primitive que la terre elle-même.

Sans même s'en rendre compte, elle se tendit sous les mains qui la parcouraient, cherchant à deviner la vérité de son corps de jeune fille.

Pour un blessé de la veille, Arnaud de Montsalvy faisait preuve d'une singulière vigueur. Il ne s'encombrait pas de délicatesses et ses gestes, autoritaires, rapides, étaient ceux d'un soldat pour qui chaque minute compte. Et pourtant, dans cette violence qui lui ôtait jusqu'à la moindre envie de résister, Catherine trouvait une extraordinaire douceur. Elle s'abandonnait, offerte, déjà heureuse. Le baiser s'éternisait, se faisait plus profond, éveillant la folie dans le sang de la jeune fille. Elle ne se rendit pas compte de ce que faisait Arnaud. Il ouvrait sa gorgerette, délaçait sa robe. Ce fut seulement quand il quitta ses lèvres pour enfouir la tête entre ses seins qu'elle se vit à demi nue dans ses bras. Mais la vue même de sa propre chair, si rose dans la lumière naissante, plus rose encore au contraste des courts cheveux noirs d'Arnaud dépassant le turban, ne lui causa aucune gêne.

C'était comme si, de tout temps, elle avait été créée pour se donner à cet homme, comme si elle n'avait été faite que pour lui, pour son plaisir et son bonheur.

Plus doucement maintenant, il continuait à la dévêtir d'une main, à la caresser de l'autre. Ses doigts semblaient hésiter devant chaque nouvelle découverte. Puis s'émerveillaient et s'emparaient de leur conquête avec une joie violente. Il murmurait des mots sans suite que Catherine ne comprenait pas. Un instant, il revint vers son visage. Elle vit ses traits, durcis par le désir, le flamboiement des noires prunelles qui cherchaient son regard.

— Comme tu es belle ! haleta-t-il, la voix rauque. Comme tu es douce... et rose, et tendre !

Avec passion, il reprit sa bouche, renversa sous lui le corps souple, ployant en arrière la taille ronde. A nouveau Catherine gémit. Un tout petit gémissement qui était presque un appel.

Soudain, dans la cour de l'auberge, un cri éclata :

— Catherine ! Catherine ! Où es-tu ?

— Mon Dieu, mon oncle !

Brusquement dégrisée, Catherine se dressa, repoussant le jeune homme. Elle prit alors pleine conscience de sa nudité, de cette porte qui pouvait s'ouvrir, de ce Noir qui remuait et allait s'éveiller. Rouge de honte elle chercha à rajuster ses vêtements, à se dégager de l'étreinte d'Arnaud qui, un instant surpris, la reprenait contre lui avec une plainte douloureuse.

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