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— Que veux-tu dire ? demanda-t-elle sourdement.

— Que l'heure est venue, pour toi, de choisir...

— De choisir ?

Oui : entre ta vie passée et ta vie actuelle. Ou bien tu renonces à entrer dans ce château, ou bien tu renonces à ta place auprès de moi... pour toujours !

Elle s'affola, épouvantée par la perspective qui s'ouvrait si brutalement devant elle, par ce choix que rien ne justifiait à ses yeux.

— Tu es fou ! s'écria-t-elle. Tu ne peux exiger cela de moi. Tu n'en as pas le droit.

— J'ai tous les droits sur toi. Jusqu'à présent, tu es ma femme.

— Tu n'as pas celui de m'empêcher de voir une dernière fois ma mère mourante, de la rejoindre pour lui rendre les derniers devoirs.

— En effet, mais à condition qu'il s'agisse bien de ta mère. Or, je sais qu'il n'en est rien. Ce n'est pas elle qui t'attend : c'est ton amant.

— C'est faux ! Je te jure que c'est faux ! Mon Dieu !... Comment te faire comprendre... te convaincre ? Écoute : laisse-moi entrer, seulement entrer, l'embrasser une dernière fois... Ensuite, je te le jure sur mes enfants, je ressortirai.

Pour la première fois, il tourna les yeux vers elle, la regarda un instant et Catherine fut effrayée par ce regard tragiquement vide. Il haussa les épaules, avec lassitude.

— Tu es peut-être sincère. Mais je sais que si tu entres là, tu n'en ressortiras pas. On s'est donné trop de mal pour te faire venir jusqu'ici.

On ne te lâchera pas.

— Alors, viens avec moi. Après tout, cette mourante, tu es devenu son fils, même si tu n'en es pas très fier. Tu as été bon avec elle, jadis, courtois et même affectueux. Elle serait doublement heureuse de nous voir ensemble. Pourquoi ne lui dirais-tu pas un dernier adieu, toi aussi

?

Elle s'animait à cette idée. Un peu de rose montait à ses joues pâles et ses yeux brillaient d'espoir. Mais Arnaud se mit à rire et c'était bien le rire le plus dur, le plus sec et le plus tragique qui se pût entendre.

Allons, Catherine, raisonne ! Où est ton intelligence ? Que j'entre avec toi, alors que depuis trois jours nous assiégeons ce château pour prendre le renard au piège ? Tu veux rire ? Je n'en sortirais pas vivant.

Aussi, l'occasion serait trop belle pour Philippe : tenir la femme et se débarrasser du mari.

— Tu es fou ! gémit-elle. Je te jure que tu es fou ! Le duc Philippe n'est pas là, j'en suis certaine ! Il ne peut pas être là...

— Et cependant, il y est, affirma tranquillement la voix douce d'un cavalier qui venait d'apparaître auprès d'Arnaud.

A son aspect plus encore qu'à la cotte d'armes armoriée qu'il portait sur son armure, Catherine reconnut le Damoiseau de Commercy.

Montant un grand étalon rouan, il ne portait pas de casque et montrait nue sa belle tête fine couronnée de cheveux aussi doux et aussi dorés que ceux de Catherine elle-même. Il avait de grands yeux bleus ombragés de cils invraisemblables, une bouche sinueuse et tendre qui s'entrouvrait sur des dents très blanches et un sourire enjôleur que démentait la dureté calculatrice du regard. Toute sa personne élégante dégageait un léger parfum de musc et contrastait violemment avec le sévère équipement guerrier du seigneur de Montsalvy qui, auprès du beau Robert, paraissait plus rude que jamais et ressemblait assez à quelque reître parfumé à la graisse d'armes et au crottin de cheval.

Cependant, des deux, c'était le jouvenceau à la beauté presque féminine qui était le plus redoutable et le plus dangereux. Mâchant négligemment des clous de girofle, ainsi qu'il en avait l'habitude, pour se parfumer l'haleine, le Damoiseau désigna Catherine du bout de sa houssine dorée :

— Ravissante ! apprécia-t-il. Sale à faire peur, mais ravissante !...

Qui est-ce ?

— Ma femme ! riposta Arnaud d'un ton abrupt qui ne pouvait en rien prétendre tenir lieu de présentation.

Les grands yeux de Robert s'ouvrirent, démesurément.

Allons donc ! La rencontre est plaisante. Et... que vient faire dans ce trou boueux une si belle et si noble dame ?

Malgré son charme et son élégance, le Damoiseau n'inspirait aucune sympathie à Catherine. Au contraire, elle éprouvait pour lui une espèce de répulsion à laquelle se mêlait de la rancune. Sans lui, Arnaud aurait sans doute cherché refuge vers Montsalvy et elle-même ne se débattrait pas au milieu de cet affreux gâchis. D'un ton raide, elle répliqua :

— Ma mère se meurt en ce château dont on prétend m'interdire l'accès et que vous-même prétendez assiéger au mépris de tout droit !

— Assiéger ? Et où prenez-vous que nous assiégions, gracieuse Dame ? Voyez-vous ici quelques machines de guerre, des ingénieurs au travail, des échelles, des armes brandies ? Je n'ai même pas de casque. Non, nous... séjournons au bord de cette charmante rivière et nous attendons.

— Quoi ?

— Que le duc Philippe se décide à sortir, tout simplement car, pour en revenir à ce que je vous disais lorsque je me suis permis d'intervenir dans votre conversation, le duc est là, j'en suis certain.

Catherine haussa les épaules et plissa la bouche dédaigneusement.

— Vous rêvez les yeux ouverts, seigneur comte ! Mais en admettant même qu'il soit venu, ce que moi je me refuse à croire, vous devez bien comprendre qu'en constatant votre... séjour ici, il ne vous aura pas attendu. Châteauvillain possède un souterrain de dégagement, comme beaucoup de ses pareils et, à cette heure, le duc est loin.

— Ce château possède même deux souterrains, belle Dame, fit Sarrebruck imperturbable ; par bonheur, nous en connaissons les issues et nous les gardons, comme il se doit.

— Comment les connaîtriez-vous ?

Le Damoiseau sourit et caressa l'encolure de son des trier. Sa voix se fit plus douce encore, si la chose était possible.

— Vous n'avez aucune idée de l'efficacité d'un feu bien flambant...

ou d'un peu de plomb fondu judicieusement réparti. Avec cela, on obtient tous les renseignements que l'on veut.

Un frisson de dégoût courut le long du dos de la jeune femme. Le feu ! Encore... L'image atroce de la nuit précédente était trop présente à sa mémoire pour que ce rappel ne lui fût pas pénible. Serrant les dents pour ne pas hurler son horreur à ce garçon trop beau et qui, cependant, la révulsait comme s'il eût été le plus hideux des serpents, elle regarda tour à tour les deux hommes :

— Vous êtes des monstres ! De vous, seigneur comte, cela ne m'étonne pas car vos tristes exploits sont célèbres, mais mon époux...

— En voilà assez ! coupa brutalement Arnaud qui avait paru, jusque-là, se désintéresser de cette passe d'armes entre sa femme et son associé, nous n'allons pas recommencer. Tu as entendu ce que l'on t'a dit, Catherine : le duc est là ! Que décides-tu ?

Elle garda le silence un instant, cherchant désespérément le défaut de l'armure, la mince fissure par laquelle, peut-être, il pourrait être possible d'atteindre ce cœur si étrangement refermé. Mais il était comme un mur, en face d'elle, enclos dans son amère jalousie et sa rancune plus hermétiquement encore que dans son armure.

Avec un soupir douloureux, elle murmura :

— Je t'en supplie !... Laisse-moi y entrer, ne fût-ce que dix minutes ! Sur le salut de mon âme et sur la vie de nos enfants, je fais serment de ne pas rester plus longtemps. Dix minutes, Arnaud, pas une de plus... et je ne les demande que parce qu'il s'agit de ma mère.

Ensuite, je tournerai le dos pour toujours à ce pays de Bourgogne et nous rentrerons ensemble chez nous.

Mais il détournait les yeux, refusant de voir ce beau regard implorant qui, peut-être, gardait plus d'empire sur lui qu'il ne voulait l'admettre.

— Je ne retourne pas à Montsalvy maintenant. J'ai à faire ici où l'on a besoin de moi. La Pucelle...

— Au Diable cette sorcière et ta folie ! cria Catherine que la colère reprenait. Tu vas tout perdre, ton rang, ton honneur, ta vie peut-être et jusqu'à ton âme pour suivre une aventurière que le bourreau flétrira un jour. Je t'en conjure, reviens à toi ! Tu as un sauf-conduit : va rejoindre la Reine...

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