— Retourner à Paris ? s'écria Gauthier. Se moque- t-il ? Et est-ce ainsi qu'un roi doit traiter une noble dame dans la douleur ? Mort-Dieu, quel roi est-ce là ? Son conseil est celui d'un fou... non d'un homme sensé ! Pense-t-il que vous allez passer votre vie à galoper sur les grands chemins entre Paris et ici ?
La colère de son écuyer amena un pâle sourire aux lèvres de Catherine, car elle y trouvait un réconfort. Mais elle lui fit baisser le ton de crainte d'attirer l'attention des gardes.
Ce fut alors Bérenger qui prit la parole :
— Ne retournons pas à Paris, Dame Catherine ! Pour quoi faire ?
Messire Arnaud n'y sera pas revenu. Mes frères l'auront retrouvé, délivré, ramené à Montsalvy. Pourquoi aller encore vous humilier, supplier en vain ? Ces gens-là se moquent de nous. Rentrons chez nous ! Allons retrouver messire Arnaud, le petit Michel et le bébé Isabelle... et, dans nos montagnes, attendons que le Roi veuille bien nous faire justice. Et s'il refuse, nous saurons bien lui tenir tête.
Gauthier regarda son jeune compagnon avec admiration.
— Mais c'est qu'il parle comme un livre ! Tu as raison, garçon, rentrons dans ton pays. Je ne le connais pas, mais je ne demande qu'à faire connaissance. Quelque chose me dit que j'y serai heureux. En tout cas, nous n'avons pas eu raison de venir ici.
C'était vrai et Catherine s'en voulait de n'avoir pas obéi au conseil de Tristan qui lui avait recommandé de se rendre à Tours et d'y attendre le Roi pour profiter des fêtes du mariage.
Mais, quand elle était arrivée dans la grande ville des bords de Loire, quinze jours plus tôt, le Roi n'y était pas et nul ne savait quand il arriverait. Il était à Chinon, sa ville de prédilection, et il n'en viendrait peut-être que juste à temps pour accueillir la princesse d'Ecosse.
La reine Yolande était en Provence et l'on ignorait même si elle viendrait. Quant à Jacques Cœur, sur qui Catherine avait compté pour l'accueillir et qui possédait maintenant des maisons et des comptoirs dans la plupart des villes royales, il n'était pas non plus dans ses magasins de Tours. Ses commis l'attendaient, mais il était sans doute encore à Montpellier.
Catherine, alors, avait attendu, mais le temps passait et au bout de dix jours de désœuvrement, n'ayant reçu non plus aucune nouvelle de Paris et de Tristan, elle s'était décidée à partir pour Chinon, afin d'y voir le Roi plus vite.
Le résultat ayant été ce que l'on sait, elle comprenait maintenant que sa hâte l'avait perdue, qu'elle aurait dû patienter, afin de pouvoir se présenter avec un solide appui devant Charles VII. Maintenant, il était trop tard... Pourtant, elle avait été bien près de réussir. Sans cette fille qui semblait mener le Roi en laisse...
— Rentrons-nous maintenant ? demanda Bérenger. Le soleil baisse déjà à l'horizon et vous avez besoin de repos, Dame Catherine.
Un moment encore ! Je voudrais entrer là une minute... Elle désignait, serrée contre l'énorme donjon du Coudray, la petite chapelle Saint-Martin où, bien souvent, elle avait entendu la messe et prié lorsqu'elle habitait le château après l'écrasement de La Trémoille.
Elle aimait ce petit sanctuaire intime et charmant où Jeanne d'Arc, jadis, avait prié, elle aussi, comme elle seule savait le faire. La prière, pour Jeanne, c'était un bain d'énergie et de foi, l'antidote souverain contre le découragement et la douleur. Elle en ressortait toujours plus forte, plus joyeuse et plus sereine. Et Catherine, au bord du désespoir, pensa que Dieu, peut-être, l'écouterait mieux si elle s'adressait à lui au lieu même où celle qu'il avait envoyée lui parlait autrefois.
L'ombre fraîche de la chapelle lui fit du bien. Le soleil mourant transperçait la rose du portail et criblait la belle voûte angevine de taches rutilantes ou azurées. Le petit autel de pierre et son retable doré en prenaient un éclat nouveau.
On avait, dans cette petite église au format réduit, l'impression d'être au cœur d'un reliquaire. Mais la beauté, si elle avait toujours agi comme un baume sur Catherine, était impuissante ce jour-là à guérir son cœur ulcéré et à adoucir sa déception. Elle avait mis tant d'espoir en ce Roi qui, jusqu'à présent, lui avait toujours montré intérêt et bonté. Elle l'avait servi de toute son âme. Mais il avait toujours été le jouet de favoris plus ou moins avouables. Maintenant, c'était une favorite, qui serait sans doute aussi néfaste que ses devanciers, Giac ou La Trémoille.
En arrivant au château, Catherine avait pensé entrer dans la chapelle Saint-Martin, après l'audience royale, pour y rendre grâces...
mais c'était en désespérée qu'elle y pénétrait pour y choisir, dans le silence, entre un retour aléatoire vers Paris ou bien le départ pour l'Auvergne où elle pourrait rejoindre Arnaud dans sa rébellion.
Choisir, d'ailleurs... était-ce bien sûr ? Elle savait déjà qu'elle n'avait plus de courage pour de nouvelles supplications, ni pour d'autres humiliations... Agenouillée au pied d'un pilier, le front sur la pierre de la table de communion, elle pleurait sur ses mains jointes, aveugle et sourde à ce qui pouvait se passer autour d'elle, quand une main se posa sur son épaule, tandis qu'une voix nette articulait :
— C'est bien de prier... mais pourquoi tant pleurer ?
Vivement redressée, avec l'inconscient battement de cœur de ceux que l'on prend en flagrant délit, elle dévisagea l'adolescent qui se tenait debout auprès d'elle. Il avait un peu changé, depuis leur dernière rencontre, quatre ans plus tôt, mais pas au point qu'elle ne pût reconnaître le dauphin Louis.
Le prince devait être âgé de quatorze ans, maintenant. Il avait grandi. Mais il avait toujours la même silhouette maigre, précocement voûtée, les mêmes épaules osseuses et fortes, la même peau d'ivoire jaunissant, les mêmes cheveux noirs et raides. Simplement, les traits de son visage s'étaient affirmés, durs et sans grâce autour du grand nez agressif et des yeux noirs, profondément enfoncés et pétillants d'intelligence. Il était laid, mais d'une laideur qui avait sa puissance et il se dégageait de ce garçon dépourvu de beauté une singulière et subtile majesté, un charme bizarre qui venait peut-être de son regard pénétrant.
Malgré son costume de chasse en gros drap de Flandre usagé et râpé, le sang royal se devinait à la hauteur du ton et à l'expression impérieuse du visage. Et son langage était celui d'un homme.
Catherine s'abîma dans une profonde révérence, à la fois surprise et gênée de cette rencontre inattendue.
— Dites-moi pourquoi vous pleurez, insista le Dauphin en considérant avec attention le visage désolé de la jeune femme.
Personne, que je sache, ne vous veut de mal ici. Vous êtes la dame de Montsalvy, n'est-ce pas ? Vous étiez des dames de parage de Madame la Reine, ma mère ?
— Votre Altesse m'a reconnue ?
Votre visage n'est pas de ceux qu'on oublie facilement, Dame...
Catherine, il me semble ? Je ne vois guère de différence aux figures des femmes qui m'entourent. La plupart sont sottes ou impudentes...
ou les deux. Vous étiez différente... vous l'êtes toujours.
— Merci, Monseigneur.
— Alors, maintenant, parlez ! Je veux savoir la raison de vos larmes.
Il était impossible de résister à cet ordre, car c'en était un. A regret, Catherine fit le récit des derniers événements, non sans ressentir un peu plus d'angoisse en voyant se froncer le sourcil de Louis quand elle évoqua le meurtre de Legoix et, surtout, l'évasion d'Arnaud.
— Ces féodaux ne changeront donc jamais ! grommela-t-il. Tant qu'ils n'auront pas compris qui est le maître, ils continueront à n'en faire qu'à leur tête. Eh bien, ces têtes, on les fera tomber.
— Le maître est le Roi, notre sire et votre père, Monseigneur, et nul ne songe à le contester, protesta Catherine terrifiée.
Puis, comme elle n'avait vraiment plus rien à perdre, elle osa ajouter :