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— Çà, Bérenger, s'indigna Catherine, où étiez-vous passé ? Ce matin, je vous ai cherché, attendu, et...

Elle s'arrêta tout net, saisie de la tristesse profonde qui marquait le jeune visage. Le dos rond, la tête basse, les coins de ses lèvres s'abaissant spasmodiquement comme s'il allait pleurer, Bérenger était l'image même du chagrin.

— Mon Dieu ! Mais qu'avez-vous ? On dirait que vous avez perdu un être cher.

— Laissez, ma chère, coupa Tristan. Je crois que je sais de quoi il s'agit !

Puis, s'adressant au garçon « désolé » :

— Est-ce que vous êtes arrivé trop tard ? Lui était-il arrivé...

quelque chose ?

Bérenger fit non de la tête, puis comme à regret :

— Rien, messire ! Tout a très bien marché. J'ai donné la lettre que vous m'aviez remise et on l'a relâché immédiatement.

— Alors ? Vous devriez être content ?

— Content ? Oui... bien sûr ! Oh, je suis content, messire, et je vous ai grande gratitude mais...

— Si vous me disiez de quoi il s'agit? protesta Catherine, qui avait suivi avec étonnement le dialogue, pour elle parfaitement obscur, du page et du Prévôt.

— D'un étudiant turbulent, un certain Gauthier de Chazay que vous avez vu arrêter hier et auquel ce garçon s'intéressait...

Tristan raconta alors comment, la veille au soir, quand il était revenu à l'auberge pour annoncer à Catherine son audience du lendemain, le jeune Roquemaurel lui avait parlé, fort timidement d'ailleurs, de l'échauffourée dont lui-même et sa maîtresse avaient été témoins quelques heures auparavant dans les environs du Petit Châtelet. Il avait dit l'intérêt de Madame de Montsalvy pour l'étudiant roux et la promesse qu'elle avait faite de tenter quelque chose pour essayer de tirer d'affaire un paladin aussi manifestement preux et dévoué au service des dames. Promesse qui, tout naturellement, lui était sortie de l'esprit, chassée par de plus graves soucis mais que lui, Bérenger, dans son admiration spontanée pour sa « lumière du monde

», n'avait pas oubliée.

Pensant vous faire plaisir à tous les deux, conclut Tristan, j'ai donc fait porter ce matin à ce garçon, pour qu'il ait le plaisir de procéder lui-même à la libération, un ordre d'élargissement en faveur du sieur Chazay que messire de Ternant n'a d'ailleurs fait aucune difficulté pour me délivrer à titre amical. Aussi suis-je un peu surpris de la mine longue que fait votre page. Je ne vous cache pas que je pensais le trouver attablé ici, ou en quelque autre cabaret, en train de s'enivrer superbement avec son nouvel ami pour fêter l'événement.

— On dirait que vous vous êtes trompé ! Si vous nous expliquiez ce qui s'est passé exactement, Bérenger, au lieu de nous regarder avec des yeux gros de larmes ? Est-ce que ce garçon n'était pas content d'être délivré ?

— Oh si ! Il était très content. Il m'a demandé qui j'étais et comment je m'étais débrouillé pour le tirer de prison. Je le lui ai dit.

Alors il m'a embrassé... puis il s'est sauvé à toutes jambes en me criant : "Grand merci, l'ami ! On se reverra peut-être quelque jour !

Pour le moment, tu voudras bien m'excuser, mais je cours chez Marion l'Ydole. Elle me doit quelque chose et, avec elle, il ne faut jamais laisser traîner les créances !..." Et il a disparu du côté de la rue Saint-Jacques.

— Eh bien ! grogna Tristan, comme remerciement, c'est un peu maigre. Donnez-vous donc du mal pour les gens. Qu'avez-vous fait, alors, pour rentrer si tard ?

— Rien... Je me suis promené sur les grèves en regardant passer les barges et les chalands. Je me sentais tout seul... un peu perdu.

J'avais envie de voir des gens. Ensuite, je suis allé du côté des grands collèges...

— Et puis, continua Catherine en souriant, comme vous n'avez pas rencontré ce garçon qui vous tient si fort à cœur, vous vous êtes tout de même décidé à rentrer. N'ayez pas de peine, Bérenger, vous avez fait une bonne action et vous l'avez faite gratuitement puisque l'on ne vous a pas accordé cette amitié que vous souhaitiez tellement.

— C'est vrai ! J'aurais tant voulu devenir son ami ! Je sais bien qu'auprès d'un étudiant parisien je ne suis rien qu'un petit paysan ignare...

Vous êtes surtout un brave garçon qui en a fait beaucoup trop pour un fanfaron ingrat. Oubliez-le comme je l'oublierai moi aussi. Je m'étais intéressée à lui simplement parce qu'il me rappelait un ami perdu. N'y pensons plus ! Demain, dès l'ouverture des portes, nous partirons pour Tours.

— Pour Tours ?

— Mais oui. Vous n'aurez pas l'amitié d'un escholiers rebelle, mais vous verrez peut-être le Roi, fit Catherine avec un sourire plein de mélancolie. Ceci vaut bien cela... encore que notre sire ne soit pas d'une grande beauté.

— Le Roi ? Oui... bien sûr ! soupira sans enthousiasme un Bérenger décidément difficile à consoler.

Néanmoins, son détachement des choses de la terre n'allant pas jusqu'à lui couper l'appétit, il dévora son dîner aussi voracement que la veille. Puis, tandis qu'après le départ de Tristan l'Hermite sa maîtresse s'en allait à l'église Sainte-Catherine-du-Val-des-Escholiers afin d'y prier longuement, il s'offrit un nouveau tour dans Paris. Cette promenade devant être la dernière, puisque l'on repartait le lendemain, il l'allongea autant qu'il le put.

Le soir venu, l'Aigle d'Or s'emplit de bruit et de tumulte. L'auberge retrouvait d'emblée auprès des libérateurs le succès qu'elle s'était taillé avec les occupants et, quand le crépuscule commença de descendre sur la ville, maints soldats s'installèrent autour des tables tachées de vin et de chandelle pour y souper, y vider force pichets et y jouer aux dés.

Prudemment, Catherine et Bérenger se firent servir dans la chambre de la jeune femme puis, la dernière bouchée avalée, et tandis que la servante ôtait les restes du repas, Catherine renvoya son page et se prépara à se coucher.

Le départ devant avoir lieu très tôt, la nécessité d'un long repos se faisait sentir. Dès l'angélus de l'aube, Tristan l'Hermite serait là dans l'intention d'escorter les voyageurs jusqu'à Longjumeau.

Calmement, Catherine procéda à sa toilette de nuit. Le long moment passé dans l'ombre mouvante de l'église lui avait rendu la sérénité et une pleine maîtrise de soi. Un prêtre, auquel elle avait demandé de l'entendre en confession, l'avait délivrée du souvenir gênant de son ivresse passagère et de la scène de séduction qu'elle avait imposée à ce malheureux Tristan. Enfin, elle avait réussi à faire silence dans son cœur.

Il lui était possible, maintenant, de regarder en face et avec une certaine impassibilité la tâche qui l'attendait à Tours et qui, tous comptes faits, ne lui semblait pas si difficile. Elle avait pleine confiance dans les amis qu'elle possédait à la Cour et surtout, bien entendu, elle ne doutait pas un seul instant d'obtenir l'aide totale de la reine Yolande, sa protectrice de toujours.

Quant à ce qu'il en était d'Arnaud, de ce côté-là aussi ses angoisses s'affaiblissaient. Elle connaissait trop bien les chevaliers de Haute Auvergne et, surtout, ces Roquemaurel indomptables dont le courage et l'entêtement pouvaient abattre des montagnes.

Durant tout le jour, elle avait suivi par la pensée leur chevauchée sur la trace des fugitifs et peut-être qu'à l'heure présente ils avaient déjà rejoint Arnaud et son dangereux compagnon. Si cela était, Gonnet d'Apchier devait avoir cessé de vivre et sa victime éventuelle galopait tranquillement en direction de Montsalvy avec ses amis retrouvés.

Peut-être même le bâtard était-il mort sans avoir eu le temps de répandre ses calomnies et d'accuser Catherine d'adultère. Une chevauchée folle n'est pas une atmosphère propice aux confidences....

Bercée par toutes ces pensées consolantes, Catherine se coucha sans attendre que le couvre-feu fût sonné et, à peine la tête sur l'oreiller, elle s'endormit d'un sommeil d'enfant, tandis qu'à quelques pas d'elle, Bérenger, à peu près mort de fatigue, ronflait déjà avec l'application d'un vieux routier. Ils n'entendirent pas les soldats quitter l'auberge en maudissant le règlement des villes qui oblige à se coucher tôt, ni les servantes qui fermaient les volets, ni l'escalier grinçant sous le double poids de maître Renaudot et de sa femme qui regagnaient leur grand lit conjugal.

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