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– Oh! mon Dieu! dit Tison effrayé, que me dites-vous donc là, vous autres? Comment! je ne reverrais plus ma fille que lorsque je sortirais?

– Tu ne sortiras plus, dit Santerre.

Tison regarda autour de lui sans arrêter sur aucun objet son œil hagard; et soudain:

– Je ne sortirai plus! s’écria-t-il. Ah! c’est comme cela? Eh bien! je veux sortir pour tout à fait, moi. Je donne ma démission; je ne suis pas un traître, un aristocrate, moi, pour qu’on me retienne en prison. Je vous dis que je veux sortir.

– Citoyen, dit Santerre, obéis aux ordres de la Commune, et tais-toi, ou tu pourrais mal t’en trouver, c’est moi qui te le dis. Reste ici et surveille ce qui s’y passe. On a l’œil sur toi, je t’en préviens.

Pendant ce temps, la reine, qui se croyait oubliée, se rassérénait peu à peu et replaçait son fils dans son lit.

– Fais monter ta femme, dit le municipal à Tison.

Celui-ci obéit, sans mot dire. Les menaces de Santerre l’avaient rendu doux comme un agneau.

La femme Tison monta.

– Viens ici, citoyenne, dit Santerre; nous allons passer dans l’antichambre, et pendant ce temps, tu fouilleras les détenues.

– Dis donc, femme, dit Tison, ils ne veulent plus laisser venir notre fille au Temple.

– Comment! ils ne veulent plus laisser venir notre fille?

Mais nous ne la verrons donc plus, notre fille?

Tison secoua la tête.

– Qu’est-ce que vous dites donc là?

– Je dis que nous ferons un rapport au conseil du Temple et que le conseil décidera. En attendant…

– En attendant, dit la femme, je veux revoir ma fille.

– Silence! dit Santerre; on t’a fait venir ici pour fouiller les prisonnières, fouille-les, et puis après nous verrons…

– Mais… cependant!…

– Oh! oh! dit Santerre en fronçant les sourcils; cela se gâte, ce me semble.

– Fais ce que dit le citoyen général! fais, femme; après, tu vois bien qu’il dit que nous verrons.

Et Tison regarda Santerre avec un humble sourire.

– C’est bien, dit la femme; allez-vous-en, je suis prête à les fouiller.

Ces hommes sortirent.

– Ma chère madame Tison, dit la reine, croyez bien…

– Je ne crois rien, citoyenne Capet, dit l’horrible femme en grinçant des dents, si ce n’est que, c’est toi qui es cause de tous les malheurs du peuple. Aussi, que je trouve quelque chose de suspect sur toi, et tu verras.

Quatre hommes restèrent à la porte pour prêter main-forte à la femme Tison, si la reine résistait.

On commença par la reine.

On trouva sur elle un mouchoir noué de trois nœuds, qui semblait malheureusement une réponse préparée à celui dont avait parlé Tison, un crayon, un scapulaire et de la cire à cacheter.

– Ah! je le savais bien, dit la femme Tison; je l’avais bien dit aux municipaux, qu’elle écrivait, l’Autrichienne! L’autre jour, j’avais trouvé une goutte de cire sur la bobèche du chandelier.

– Oh! madame, dit la reine avec un accent suppliant, ne montrez que le scapulaire.

– Ah bien, oui, dit la femme, de la pitié pour toi!… Est-ce qu’on en a pour moi, de la pitié?… On me prend ma fille.

Madame Élisabeth et madame Royale n’avaient rien sur elles.

La femme Tison rappela les municipaux, qui rentrèrent, Santerre à leur tête; elle leur remit les objets trouvés sur la reine, qui passèrent de main en main et furent l’objet d’un nombre infini de conjectures: le mouchoir noué de trois nœuds, surtout, exerça longuement l’imagination des persécuteurs de la race royale.

– Maintenant, dit Santerre, nous allons te lire l’arrêté de la Convention.

– Quel arrêté? demanda la reine.

– L’arrêté qui ordonne que tu seras séparée de ton fils.

– Mais c’est donc vrai que cet arrêté existe?

– Oui. La Convention a trop grand souci d’un enfant confié à sa garde par la nation, pour le laisser en compagnie d’une mère aussi dépravée que toi…

Les yeux de la reine jetèrent des éclairs.

– Mais formulez une accusation, au moins, tigres que vous êtes!

– Ce n’est parbleu pas difficile, dit un municipal, voilà…

Et il prononça une de ces accusations infâmes, comme Suétone en porte contre Agrippine.

– Oh! s’écria la reine, debout, pâle et superbe d’indignation, j’en appelle au cœur de toutes les mères.

– Allons! allons! dit le municipal, tout cela est bel et bien; mais nous sommes déjà ici depuis deux heures, et nous ne pouvons pas perdre toute la journée; lève-toi, Capet, et suis-nous.

– Jamais! jamais! s’écria la reine s’élançant entre les municipaux et le jeune Louis, et s’apprêtant à défendre l’approche du lit, comme une tigresse fait de sa tanière; jamais je ne me laisserai enlever mon enfant!

– Oh! messieurs, dit Madame Élisabeth en joignant les mains avec une admirable expression de prière; messieurs, au nom du ciel! ayez pitié de deux mères!

– Parlez, dit Santerre, dites les noms, avouez le projet de vos complices, expliquez ce que voulaient dire ces nœuds faits au mouchoir apporté avec votre linge par la fille Tison, et ceux faits au mouchoir trouvé dans votre poche; alors on vous laissera votre fils.

Un regard de Madame Élisabeth sembla supplier la reine de faire ce sacrifice terrible.

Mais celle-ci, essuyant fièrement une larme qui brillait comme un diamant, au coin de sa paupière:

– Adieu, mon fils, dit-elle. N’oubliez jamais votre père qui est au ciel, votre mère qui ira bientôt le rejoindre; redites, tous les soirs et tous les matins, la prière que je vous ai apprise. Adieu, mon fils.

Elle lui donna un dernier baiser; et, se relevant froide et inflexible:

– Je ne sais rien, messieurs, dit-elle; faites ce que vous voudrez.

Mais il eût fallu à cette reine plus de force que n’en contenait le cœur d’une femme, et surtout le cœur d’une mère. Elle retomba anéantie sur une chaise, tandis qu’on emportait l’enfant, dont les larmes coulaient et qui lui tendait les bras, mais sans jeter un cri.

La porte se referma derrière les municipaux qui emportaient l’enfant royal, et les trois femmes demeurèrent seules.

Il y eut un moment de silence désespéré, interrompu seulement par quelques sanglots.

La reine le rompit la première.

– Ma fille, dit-elle, et ce billet?

– Je l’ai brûlé, comme vous me l’avez dit, ma mère.

– Sans le lire?

– Sans le lire.

– Adieu donc, dernière lueur, suprême espérance! murmura Madame Élisabeth.

– Oh! vous avez raison, vous avez raison, ma sœur, c’est trop souffrir!

Puis, se retournant vers sa fille:

– Mais vous avez vu l’écriture, du moins, Marie?

– Oui, ma mère, un moment.

La reine se leva, alla regarder à la porte pour voir si elle n’était point observée, et, tirant une épingle de ses cheveux, elle s’approcha de la muraille, fit sortir d’une fente un petit papier plié en forme de billet, et, montrant ce billet à madame Royale:

– Rappelez tous vos souvenirs avant de me répondre, ma fille, dit-elle; l’écriture était-elle la même que celle-ci?

– Oui, oui, ma mère, s’écria la princesse; oui, je la reconnais!

– Dieu soit loué! s’écria la reine en tombant à genoux avec ferveur. S’il a pu écrire, depuis ce matin, c’est qu’il est sauvé, alors. Merci, mon Dieu! merci! un si noble ami méritait bien un de tes miracles.

– De qui parlez-vous donc, ma mère? demanda madame Royale. Quel est cet ami? Dites-moi son nom, que je le recommande à Dieu dans mes prières.

– Oui, vous avez raison ma fille; ne l’oubliez jamais, ce nom, car c’est le nom d’un gentilhomme plein d’honneur et de bravoure; celui-là n’est pas dévoué par ambition, car il ne s’est révélé qu’aux jours du malheur. Il n’a jamais vu la reine de France, ou plutôt la reine de France ne l’a jamais vu, et il voue sa vie à la défendre. Peut-être sera-t-il récompensé, comme on récompense aujourd’hui toute vertu, par une mort terrible… Mais… s’il meurt… oh! là-haut! là-haut! je le remercierai… Il s’appelle…

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