– Comment! surprise? dit-elle en pinçant son nez avec ses lunettes, qu’elle venait de tirer de leur étui afin de mieux voir M. Flageot.
– Sans doute, je vous croyais dans vos terres, madame, répondit l’avocat, usant d’une aimable flatterie pour qualifier les trois arpents de potager de madame de Béarn.
– Comme vous voyez, j’y étais; mais à votre premier signal je les ai quittées.
– À mon premier signal? fit l’avocat étonné.
– À votre premier mot, à votre premier avis, à votre premier conseil, enfin, comme il vous plaira.
Les yeux de M. Flageot devinrent grands comme les lunettes de la comtesse.
– J’espère que j’ai fait diligence, continua celle-ci, et que vous devez être content de moi.
– Enchanté, madame, comme toujours; mais permettez-moi de vous dire que je ne vois en aucune façon ce que j’ai à faire là dedans.
– Comment! dit la comtesse, ce que vous avez à faire?… Tout, ou plutôt c’est vous qui avez tout fait.
– Moi?
– Certainement, vous… Eh bien! nous avons donc du nouveau ici?
– Oh! oui, madame, on dit que le roi médite un coup d’État à l’endroit du parlement. Mais pourrais-je vous offrir de prendre quelque chose?
– Il s’agit bien du roi, il s’agit bien de coup d’État.
– Et de quoi s’agit-il donc, madame?
– Il s’agit de mon procès. C’est à propos de mon procès que je vous demandais s’il n’y avait rien de nouveau.
– Oh! quant à cela, dit M. Flageot en secouant tristement la tête, rien, madame, absolument rien.
– C’est-à-dire, rien…
– Non, rien.
– Rien, depuis que mademoiselle votre fille m’a parlé. Or, comme elle m’a parlé avant-hier, je comprends qu’il n’y ait pas grand-chose de nouveau depuis ce moment-là.
– Ma fille, madame?
– Oui.
– Vous avez dit ma fille?
– Sans doute, votre fille, celle que vous m’avez envoyée.
– Pardon, madame, dit M. Flageot, mais il est impossible que je vous aie envoyé ma fille.
– Impossible!
– Par une raison infiniment simple, c’est que je n’en ai pas.
– Vous êtes sûr? dit la comtesse.
– Madame, répondit M. Flageot, j’ai l’honneur d’être célibataire.
– Allons donc! fit la comtesse.
M. Flageot devint inquiet; il appela Marguerite pour qu’elle apportât les rafraîchissements offerts à la comtesse, et surtout pour qu’elle la surveillât.
– Pauvre femme, pensa-t-il, la tête lui aura tourné.
– Comment! dit la comtesse, vous n’avez pas une fille?
– Non, madame.
– Une fille mariée à Strasbourg?
– Non, madame, non, mille fois non.
– Et vous n’avez pas chargé cette fille, continua la comtesse poursuivant son idée, vous n’avez pas chargé cette fille de m’annoncer en passant que mon procès était mis au rôle?
– Non.
La comtesse bondit sur son fauteuil en frappant ses deux genoux de ses deux mains.
– Buvez un peu, madame la comtesse, dit M. Flageot, cela vous fera du bien.
En même temps il fit un signe à Marguerite, qui approcha deux verres de bière sur un plateau; mais la vieille dame n’avait plus soif; elle repoussa le plateau et les verres si rudement, que mademoiselle Marguerite, qui paraissait avoir quelques privilèges dans la maison, en fut blessée.
– Voyons, voyons, dit la comtesse en regardant M. Flageot par-dessous ses lunettes, expliquons-nous un peu, s’il vous plaît.
– Je le veux bien, dit M. Flageot. Demeurez, Marguerite; madame consentira peut-être à boire tout à l’heure. Expliquons-nous.
– Oui, expliquons-nous, si vous le voulez bien, car vous êtes inconcevable aujourd’hui, mon cher monsieur Flageot; on dirait, ma parole, que la tête vous a tourné depuis les chaleurs.
– Ne vous irritez pas, madame, dit l’avocat en faisant manœuvrer son fauteuil sur les deux pieds de derrière pour s’éloigner de la comtesse, ne vous irritez pas et causons.
– Oui, causons. Vous dites que vous n’avez pas de fille, monsieur Flageot?
– Non, madame, et je le regrette bien sincèrement, puisque cela paraissait vous être agréable, quoique…
– Quoique? répéta la comtesse.
– Quoique, pour moi, j’aimerais mieux un garçon; les garçons réussissent mieux ou plutôt tournent moins mal dans ces temps-ci.
Madame de Béarn joignit les deux mains avec une profonde inquiétude.
– Quoi! dit-elle, vous ne m’avez pas fait mander à Paris par une sœur, une nièce, une cousine quelconque?
– Je n’y ai jamais songé, madame, sachant combien le séjour de Paris est dispendieux.
– Mais mon affaire?
– Je me réserve de vous tenir au courant quand elle sera appelée, madame.
– Comment, quand elle sera appelée?
– Oui.
– Elle ne l’est donc pas?
– Pas que je sache, madame.
– Mon procès n’est pas évoqué?
– Non.
– Et il n’est pas question d’un prochain appel?
– Non, madame! mon Dieu, non!
– Alors, s’écria la vieille dame en se levant, alors on m’a jouée, on s’est indignement moqué de moi.
M. Flageot hissa sa perruque sur le haut de son front en marmottant.
– J’en ai bien peur, madame.
– Maître Flageot!… s’écria la comtesse.
L’avocat bondit sur sa chaise et fit un signe à Marguerite, laquelle se tint prête à soutenir son maître.
– Maître Flageot, continua la comtesse, je ne tolérerai pas cette humiliation, et je m’adresserai à M. le lieutenant de police pour qu’on retrouve la péronnelle qui a commis cette insulte vis-à-vis de moi.
– Peuh! fit M. Flageot; c’est bien chanceux.
– Une fois trouvée, continua la comtesse emportée par la colère, j’intenterai une action.