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– Si je l’épouse, cependant…, balbutia Nicole.

– Eh bien! Nicole, si tu l’épouses, tu demeureras avec lui à Taverney, dit Andrée d’un ton ferme, et cette maison que ma mère aimait tant, vous nous la garderez.

Nicole fut abasourdie du coup; impossible de trouver le moindre mystère dans les paroles d’Andrée. Andrée renonçait à Gilbert sans arrière-pensée, sans l’ombre d’un regret; elle livrait à une autre celui que, la veille, elle avait honoré de sa préférence; c’était incompréhensible.

– Sans doute, les demoiselles de qualité sont ainsi faites, se dit Nicole; c’est pour cela que j’ai vu si peu de chagrins profonds au couvent des Annonciades, et cependant que d’intrigues!

Andrée devina probablement l’hésitation de Nicole; probablement aussi vit-elle son esprit flotter entre l’ambition des plaisirs parisiens et la douce et tranquille médiocrité de Taverney, car, d’une voix douce, mais ferme:

– Nicole, dit-elle, la résolution que tu vas prendre décidera peut-être de toute ta vie; réfléchis, mon enfant, il te reste une heure pour te décider. Une heure, c’est bien peu sans doute, je le sais, mais je te crois prompte dans tes décisions: mon service ou ton mari, moi ou Gilbert. Je ne veux pas être servie par une femme mariée, je déteste les secrets de ménage.

– Une heure, mademoiselle! répéta Nicole; une heure!

– Une heure.

– Eh bien! mademoiselle a raison, c’est tout autant qu’il m’en faut.

– Alors, rassemble tous mes habits, joins-y ceux de ma mère, que je vénère, tu le sais, comme des reliques, et reviens m’annoncer ta résolution. Quelle qu’elle soit, voici tes vingt-cinq louis. Si tu te maries, c’est ta dot; si tu me suis, ce sont tes deux premières années de gages.

Nicole prit la bourse des mains d’Andrée et la baisa.

La jeune fille ne voulait sans doute pas perdre une seconde de l’heure que lui avait accordée sa maîtresse, car elle s’élança hors de la chambre, descendit rapidement l’escalier, traversa la cour et se perdit dans l’avenue.

Andrée la regarda s’éloigner en murmurant:

– Pauvre folle, qui pouvait être heureuse!

Est-ce donc si doux, l’amour? Cinq minutes après, toujours pour ne pas perdre de temps sans doute, Nicole frappait aux vitres du rez-de-chaussée qu’habitait Gilbert, décoré si généreusement par Andrée du nom d’oisif, et par le baron de celui de fainéant.

Gilbert tournait le dos à cette fenêtre donnant sur l’avenue, et remuait on ne sait quoi au fond de sa chambre.

Au bruit des doigts de Nicole tambourinant sur la vitre, il abandonna, comme un voleur surpris en flagrant délit, l’œuvre qui l’occupait, et se retourna plus prompt que si un ressort d’acier l’eût fait mouvoir.

– Ah! fit-il, c’est vous, Nicole?

– Oui, c’est encore moi, répondit la jeune fille à travers les carreaux, avec un air décidé mais souriant.

– Alors soyez la bienvenue, Nicole, dit Gilbert en allant ouvrir la fenêtre.

Nicole, sensible à cette première démonstration de Gilbert, lui tendit la main; Gilbert la serra.

– Voilà qui va bien, pensa-t-elle; adieu le voyage de Paris!

Et c’est ici qu’il faut louer sincèrement Nicole, qui n’accompagna cette réflexion que d’un seul soupir.

– Vous savez, dit la jeune fille en s’accoudant sur la fenêtre, vous savez, Gilbert, que l’on quitte Taverney.

– Je le sais, répondit Gilbert.

– Vous savez où l’on va?

– On va à Paris.

– Et vous savez encore que je suis du voyage?

– Non, je ne le savais pas.

– Eh bien?

– Eh bien! je vous en félicite, si la chose vous plaît.

– Comment avez-vous dit cela? demanda Nicole.

– J’ai dit: si la chose vous plaît; c’est clair, ce me semble.

– Elle me plaît… c’est selon, reprit Nicole.

– Que voulez-vous dire, à votre tour?

– Je veux dire qu’il dépendrait de vous que la chose ne me plût pas.

– Je ne comprends pas, dit Gilbert en s’asseyant sur la fenêtre de telle façon que ses genoux effleuraient les bras de Nicole, et que tous deux pouvaient continuer leur conversation, à moitié cachés par les lianes de liserons et de capucines enroulées au-dessus de leurs têtes.

Nicole regarda tendrement Gilbert.

Mais Gilbert fit un signe du cou et des épaules qui voulait dire qu’il ne comprenait pas plus le regard que les paroles.

– C’est bien… Puisqu’il faut tout vous dire, écoutez donc, reprit Nicole.

– J’écoute, dit froidement Gilbert.

– Mademoiselle m’offre de la suivre à Paris.

– Bon, dit Gilbert.

– À moins que…

– À moins que?… répéta le jeune homme.

– À moins que je ne trouve à me marier ici.

– Vous tenez donc toujours à vous marier? dit Gilbert impassible.

– Oui, surtout depuis que je suis riche, répéta Nicole.

– Ah! vous êtes riche? demanda Gilbert avec un flegme qui dérouta les soupçons de Nicole.

– Très riche, Gilbert.

– Vraiment?

– Oui.

– Et comment ce miracle s’est-il fait?

– Mademoiselle m’a dotée.

– C’est un grand bonheur, et je vous en félicite, Nicole.

– Tenez, dit la jeune fille en faisant ruisseler dans sa main les vingt-cinq louis.

Et ce disant, elle regardait Gilbert pour saisir dans ses yeux un rayon de joie ou tout au moins de convoitise.

Gilbert ne sourcilla point.

– Par ma foi! dit-il, c’est une belle somme.

– Ce n’est pas le tout, continua Nicole, M. le baron va redevenir riche. On songe à rebâtir Maison-Rouge et à embellir Taverney.

– Je le crois bien.

– Et alors le château aura besoin d’être gardé.

– Sans doute.

– Eh bien! mademoiselle donne la place de…

– De concierge à l’heureux époux de Nicole, continua Gilbert avec une ironie qui ne fut point assez dissimulée cette fois pour que ne s’en effarouchât pas la fine oreille de Nicole.

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