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Dix heures sonnaient à l’hôtel de ville de Compiègne quand le guetteur vit arborer sur le clocher du village de Claives le drapeau blanc qu’on devait déployer lorsque la dauphine serait en vue.

Il sonna aussitôt la cloche d’avis, signal auquel répondit un coup de canon tiré de la place du Château.

Au même instant, comme s’il n’eût attendu que cet avis, le roi entra en carrosse à huit chevaux à Compiègne, avec la double haie de sa maison militaire, suivi par la foule immense des voitures de sa cour.

Les gendarmes et les dragons ouvraient au galop cette foule partagée entre le désir de voir le roi et celui d’aller au-devant de la dauphine; car il y avait l’éclat d’un côté et l’intérêt de l’autre.

Cent carrosses à quatre chevaux, tenant presque l’espace d’une lieue, roulaient quatre cents femmes et autant de seigneurs de la plus haute noblesse de France. Ces cent carrosses étaient escortés de piqueurs, d’heiduques, de coureurs et de pages. Les gentilshommes de la maison du roi étaient à cheval et formaient une armée étincelante qui brillait au milieu de la poussière soulevée par les pieds des chevaux, comme un flot de velours, d’or, de plumes et de soie.

On fit une halte d’un instant à Compiègne, puis on sortit de la ville au pas pour s’avancer jusqu’à la limite convenue, qui était une croix placée sur la route, à la hauteur du village de Magny.

Toute la jeunesse de France entourait le dauphin; toute la vieille noblesse était près du roi.

De son côté, la dauphine, qui n’avait pas changé de carrosse, s’avança d’un pas calculé vers la limite convenue.

Les deux troupes se joignirent enfin.

Tous les carrosses furent aussitôt vides. Des deux côtés, la foule des courtisans descendit; deux seuls carrosses étaient encore pleins: l’un, celui du roi, et l’autre, celui de la dauphine.

La portière du carrosse de la dauphine s’ouvrit, et la jeune archiduchesse sauta légèrement à terre.

La princesse alors s’avança vers la portière du carrosse royal.

Louis XV, en apercevant sa bru, fit ouvrir la portière de son carrosse et descendit à son tour avec empressement.

Madame la dauphine avait si heureusement calculé sa marche, qu’au moment où le roi posait le pied à terre elle se jetait à ses genoux.

Le roi se baissa, releva la jeune princesse et l’embrassa tendrement, tout en la couvrant d’un regard sous lequel, malgré elle, elle se sentit rougir.

– M. le dauphin! dit le roi en montrant à Marie-Antoinette le duc de Berry, qui se tenait derrière elle sans qu’elle l’eût encore aperçu, du moins officiellement.

La dauphine fit une révérence gracieuse que lui rendit le dauphin en rougissant à son tour.

Puis, après le dauphin, vinrent ses deux frères; après les deux frères, les trois filles du roi.

Madame la dauphine trouva un mot gracieux pour chacun des deux princes, pour chacune des trois princesses.

À mesure que s’avançaient ces présentations, en attendant avec anxiété, madame du Barry était debout derrière les princesses. Serait-il question d’elle? serait-elle oubliée?

Après la présentation de Madame Sophie, la dernière des filles du roi, il y eut une pause d’un instant pendant laquelle toutes les respirations étaient haletantes.

Le roi semblait hésiter, la dauphine semblait attendre quelque incident nouveau dont d’avance elle eût été prévenue.

Le roi jeta les yeux autour de lui, et voyant la comtesse à sa portée, il lui prit la main.

Tout le monde s’écarta aussitôt. Le roi se trouva au milieu d’un cercle avec la dauphine.

– Madame la comtesse du Barry, dit-il, ma meilleure amie!

La dauphine pâlit, mais le plus gracieux sourire se dessina sur ses lèvres blêmissantes.

– Votre Majesté est bien heureuse, dit-elle, d’avoir une amie si charmante, et je ne suis pas surprise de l’attachement qu’elle peut inspirer.

Tout le monde se regardait avec un étonnement qui tenait de la stupéfaction. Il était évident que la dauphine suivait les instructions de la cour d’Autriche, et répétait probablement les propres paroles dictées par Marie-Thérèse.

Aussi M. de Choiseul crut-il que sa présence était nécessaire. Il s’avança pour être présenté à son tour; mais le roi fit un signe de tête, les tambours battirent, les trompettes sonnèrent, le canon tonna.

Le roi prit la main de la jeune princesse pour la conduire à son carrosse. Elle passa, conduite ainsi devant M. de Choiseul. Le vit-elle ou ne le vit-elle point, c’est ce qu’il est impossible de dire; mais, ce qu’il y eut de certain, c’est qu’elle ne fit ni de la main, ni de la tête, aucun signe qui ressemblât à un salut.

Au moment où la princesse entra dans le carrosse du roi, les cloches de la ville se firent entendre au-dessus de tout ce bruit solennel.

Madame du Barry remonta radieuse dans son carrosse.

Il y eut alors une halte d’une dizaine de minutes pendant laquelle le roi remonta dans son carrosse, et lui fit reprendre le chemin de Compiègne.

Pendant ce temps, toutes les voix, comprimées par le respect ou l’émotion, éclatèrent en un bourdonnement général.

Du Barry s’approcha de la portière du carrosse de sa sœur; celle-ci le reçut le visage souriant: elle attendait toutes ses félicitations.

– Savez-vous, Jeanne, lui dit-il en lui montrant du doigt un cavalier qui causait à l’un des carrosses de la suite de madame la dauphine, savez-vous quel est ce jeune homme?

– Non, dit la comtesse; mais, vous-même, savez-vous ce que la dauphine a répondu quand le roi m’a présentée à elle?

– Il ne s’agit pas de cela. Ce jeune homme est M. Philippe de Taverney.

– Celui qui vous a donné le coup d’épée?

– Justement. Et savez-vous quelle est cette admirable créature avec laquelle il cause?

– Cette jeune fille si pâle et si majestueuse?

– Oui, que le roi regarde en ce moment, et dont, selon toute probabilité, il demande le nom à madame la dauphine.

– Eh bien?

– Eh bien! c’est sa sœur.

– Ah! fit madame du Barry.

– Écoutez, Jeanne, je ne sais pourquoi, mais il me semble que vous devez autant vous défier de la sœur que moi du frère.

– Vous êtes fou.

– Je suis sage. En tout cas, j’aurai soin du petit garçon.

– Et moi, j’aurai l’œil sur la petite fille.

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