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Makar DIÉVOUCHKINE.

P.-S. Surtout je vous en supplie: répondez-moi, mon bon ange, de façon aussi détaillée que possible. Je vous envoie, Varinka, avec cette lettre, une livre de bonbons. Mangez-les à votre bonne santé et ne vous faites pas de soucis pour moi, au nom du ciel, et ne soyez pas fâchée. Et maintenant au revoir, ma petite mère.

* * * * *

8 avril.

Cher Monsieur Makar Alexéievitch,

Savez-vous que nous allons peut-être finir par nous quereller? Je vous jure, mon bon Makar Alexéievitch qu'il m'est presque pénible d'accepter vos cadeaux. Je sais ce qu'ils vous coûtent, et combien vous êtes obligé de faire de sacrifices en vous privant vous-même des choses les plus indispensables. Je vous ai dit tant de fois déjà que je n'ai besoin de rien, absolument de rien, et que je ne suis pas en état de vous rendre la pareille pour les bienfaits que vous avez fait pleuvoir sur moi jusqu'ici. Que ferai-je de tous ces pots de fleurs? Passe pour les petites balsamines, mais le géranium? Il suffit qu'un mot m'échappe par inadvertance, comme ce fut le cas au sujet de cette fleur, et vous vous empressez déjà de l'acheter. Sûrement, elle a dû coûter cher? Mais quelle merveille que ces fleurs avec leur forme croisée et leur couleur ponceau! Où donc vous êtes-vous procuré ce ravissant géranium? Je l'ai posé au milieu de la fenêtre à l'endroit le plus en vue, et j'ai placé sur le plancher une banquette sur laquelle je disposerai d'autres fleurs encore: laissez-moi seulement le temps de devenir riche à mon tour. Fédora est au comble de la joie; on dirait vraiment que notre chambre est devenue un paradis – tout y est clair, propre. Mais aussi, pourquoi m'avoir envoyé des bonbons? Vrai, j'ai compris dès les premières lignes de votre lettre que quelque chose n'allait pas chez vous: vous parlez trop du printemps, des parfums et des oiseaux qui gazouillent. Il n'aurait plus manqué que des vers, ai-je remarqué en vous lisant. Voyons, Makar Alexéievitch! Des sentiments tendres, des rêves couleur de rose – rien n'y manque! Quant au rideau de ma fenêtre, je n'avais même pas songé à le tirer, et il a dû s'accrocher par hasard au moment où je déplaçais les pots de fleurs. Voilà pour vous apprendre!

Oh! Makar Alexéievitch! Quoi que vous me disiez, de quelque façon que vous établissiez les comptes de vos ressources pour essayer de me prouver faussement que vous les utilisez uniquement pour vous-même, vous ne parviendrez pas à me cacher la vérité. Il saute aux yeux que vous vous privez pour moi du nécessaire. Quelle idée avez-vous eue, par exemple, de vous installer dans un tel logement? On ne vous y laisse pas tranquille, on vous y dérange à tout instant. Et puis vous êtes à l'étroit, sans aucun confort. Vous aimez la solitude, et vous voici dans un vrai caravansérail. Or, vous pourriez vivre dans des conditions infiniment meilleures, à en juger par votre traitement. Fédora assure que vous étiez incomparablement mieux logé auparavant. Se pourrait-il vraiment que vous ayez passé toute votre vie ainsi, dans la solitude et les privations, sans joie, sans jamais entendre une parole amie ou affectueuse, toujours parmi les étrangers, en chambre meublée? Comme je vous plains, mon bon ami! Ménagez du moins votre santé, Makar Alexéievitch. Vous me dites que votre vue faiblit; vous devriez éviter, pour cette raison, d'écrire à la lumière des bougies. À quoi bon écrire d'ailleurs? Vos chefs doivent déjà vous connaître et apprécieront sans cela le zèle que vous apportez dans votre travail.

Je vous en supplie encore une fois: ne dépensez pas tant d'argent pour moi. Je sais que vous m'aimez beaucoup, mais vous n'êtes pas riche vous-même… Moi aussi je m'étais levée de bonne humeur ce matin. Je me sentais si bien, si contente. Fédora était à la tâche depuis longtemps, et elle m'a rapporté du travail pour moi également. Je me suis tellement réjouie; je suis sortie pour acheter de la soie, et je me suis mise à l'œuvre immédiatement. Toute la matinée durant, j'avais le cœur si léger, si gai. Et maintenant, voilà que les pensées sombres et tristes me reviennent. Mon cœur n'en peut plus de souffrir.

Qu'adviendra-t-il de moi, ciel! que sera mon destin? C'est dur de me trouver dans une telle incertitude, de ne pas voir d'avenir devant moi, au point d'être incapable d'imaginer, même de loin, ce qui m'arrivera par la suite. Quant à regarder derrière moi, je n'en ai pas le courage. Tout, dans ce passé, ne fut que souffrances et mon cœur se déchire dès que je m'en souviens. Je n'aurais pas assez de larmes pour pleurer jusqu'à la fin de mes jours cause de tout le mal que les méchants m'ont fait!

Le soir tombe, je dois me mettre à la tâche. J'aurais aimé vous dire beaucoup de choses encore; mais je n'en ai pas le temps, car ce travail doit être livré pour une date fixe, et il faut que je me dépêche. Certes, les lettres sont une excellente chose et me font du bien en me distrayant. Mais pourquoi ne viendrez-vous pas me rendre visite directement? Pourquoi ne venez-vous pas, Makar Alexéievitch? Vous habitez si près maintenant, et il vous arrive d'avoir des moments de loisir. Venez, je vous en prie. J'ai vu votre Thérèse. Elle m'a fait l'impression d'être bien malade. J'ai eu pitié d'elle et lui ai donné vingt kopecks. Ah oui! j'oubliais: il faut absolument que vous m'écriviez comment vous vivez, avec le plus de détails possible. Quels sont les gens qui vous entourent et vous entendez-vous avec eux? Je voudrais beaucoup être renseignée sur tout cela. Il faut absolument que vous me l'écriviez, convenu? Aujourd'hui, je relèverai intentionnellement le coin du rideau. Et puis, couchez-vous de meilleure heure. Hier, j'ai vu de la lumière chez vous jusqu'à minuit. Adieu pour le moment. Tout me semble si triste, si morne, si désespérant aujourd'hui. C'est sans doute une journée comme cela. Adieu.

Votre Varvara DOBROSIOLOVA.

* * * * *

8 avril.

Chère Madame Varvara Alexéievna!

Hélas! ma petite mère, hélas! ma chère amie, ce n'est que trop vrai: c'est une bien méchante journée qui est venue s'ajouter à mon destin de malheur! Oui… Vous vous êtes joliment moquée de moi, Varvara Alexéievna, de moi, pauvre vieillard. C'est ma faute d'ailleurs, et je suis entièrement à blâmer! Quel besoin avais-je, à mon âge et avec un seul toupet de cheveux sur mon crâne, de me lancer dans les amours et les équivoques… Il faut l'avouer, ma petite mère, l'homme est un être bizarre à certaines heures, très bizarre. Grands cieux! Quel démon nous pousse à parler parfois, et parler de quoi? Qu'en résulte-t-il? Rien, rien, il n'en résulte rien, et cela n'aboutit qu'à des situations absurdes, ce dont le Seigneur nous préserve! Non, ma petite mère, je ne suis pas fâché, mais cela me gêne de songer à tout ce que je vous ai écrit, et j'ai honte de m'être exprimé d'une façon tellement imagée et sotte! Il y a aussi que je me suis rendu à mon travail ce matin avec un entrain particulier. J'avais soigné ma toilette et tout rayonnait en moi! Mon âme était en fête, sans rime ni raison. Bref, j'étais gai. Je sortis mes dossiers avec zèle, et qu'est-il advenu de tout cela? Rien! J'ai jeté un regard autour de moi, et j'ai vu que tout était, comme auparavant, terne et triste dans ce bureau! Les mêmes taches d'encre, les mêmes pupitres, les mêmes paperasses, et je n'avais pas changé, moi non plus. Tel j'étais, tel je suis resté, absolument le même! Y avait-il de quoi, dans ces conditions, enfourcher Pégase? D'où cela m'était-il sorti? À cause du soleil devenu plus chaud, et du ciel plus clair? Est-ce la raison peut-être? Et comment ai-je pu parler de parfums et d'air embaumé, alors que Dieu sait quels détritus traînent dans la cour, tout juste sous les fenêtres de notre appartement? C'est donc par désœuvrement et stupidité que j'ai cru sentir tout cela! Illusions! Il peut arriver à un homme de se méprendre lui-même sur ce qu'il sent et d'en faire des tartines absurdes. La faute en est uniquement à cette sotte impulsivité de notre cœur. Je suis rentré chez moi, ou, plus exactement, je me suis traîné jusqu'à ma maison. J'avais tout à coup mal à la tête, sans raison plausible. Tout ça, c'est la même histoire (j'ai dû prendre froid dans le dos). Je m'étais réjoui du printemps et, grand idiot que je suis, je ne me suis pas vêtu assez chaudement. D'ailleurs, vous vous êtes un peu méprise sur la vraie nature de mes sentiments, ma chère amie! Cette effusion du cœur avait pris chez moi, en réalité, une direction tout à fait différente. C'était un sentiment paternel qui m'animait, le pur sentiment paternel et rien d'autre, Varvara Alexéievna! Car je vous tiens lieu de père maintenant, malheureuse orpheline que vous êtes! Je vous parle ici à cœur ouvert, par affection pure, comme le ferait un proche parent. Après tout, je vous suis un peu parent, à un degré très éloigné je le sais, en sorte que c'est un peu, comme dit le proverbe, la septième infusion d'un vieux thé. Je vous suis parent néanmoins, et je me trouve, à cette heure, dans la situation de votre parent et de votre protecteur le plus proche, puisque vous n'avez connu que trahison et perfidie là où vous étiez le plus en droit d'attendre aide et protection dans le malheur. Quant aux vers, je vous dirai, ma petite mère, qu'il serait peu décent, à mon âge, de me mettre à versifier. La poésie n'est que balivernes. De nos jours, on fouette les gosses à l'école lorsqu'ils s'y adonnent… Voilà ce qu'il en est sur ce point, ma petite mère.

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