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– Mais je ne pourrai rester couché ainsi jusqu’à demain… Je suis un être raisonnable… J’ai des relations… Qu’en pensez-vous? Est-ce qu’il va passer la nuit ici?

– Qui?

– Mais ce vieux…

– Sans aucun doute. Tous les maris ne vous ressemblent pas. Certains couchent chez eux.

– Mon cher Monsieur, mon cher Monsieur, cria Ivan Andreievitch, glacé d’épouvante, soyez sûr que je ne découche pas non plus… c’est la première fois que cela m’arrive. Mais, Seigneur, je vois que vous me connaissez. Qui êtes-vous, jeune homme? Dites-moi tout de suite, je vous en supplie, au nom d’une amitié désintéressée, qui vous êtes.

– Écoutez, j’userai de violence…

– Mais permettez, permettez que je vous raconte, cher Monsieur, permettez que je vous explique toute cette vilaine histoire…

– Je n’écouterai aucune explication, je ne veux rien savoir. Taisez-vous sinon…

– Je ne puis vraiment pas…

Une petite bataille s’ensuivit sous le lit et Ivan Andreievitch se tut.

– Mon petit trésor, on dirait qu’il y a des chats ici qui chuchotent…

– Quels chats? En voilà des inventions!

La dame ne savait évidemment pas de quoi parler avec son époux. Elle ne pouvait encore se remettre de la stupeur qui l’avait saisie. Cependant, elle tressaillit et tendit les oreilles.

– Quels chats?

– Mais des chats, ma petite colombe… J’entre donc l’autre jour dans mon cabinet… et voici que Vasska s’y trouve assis… chiou, chiou, chiou, et il ronronne… Alors moi: Qu’as-tu, Vassenka? Et mon minet de nouveau: chiou, chiou, chiou… Tout le temps comme s’il murmurait. Alors moi de me dire: «Ah! mes ancêtres. Ne me prédit-il point tout bas la mort?»

– Vous en débitez des sottises aujourd’hui. Vous devriez avoir honte.

– Soit, ce n’est rien. Ne te fâche pas, ma chérie… Je vois que tu serais malheureuse si je mourais. Ne te fâche pas… Oh! c’est pour dire quelque chose. Tu devrais, petite âme, te déshabiller, te coucher. Je resterai ici pendant que tu te coucheras…

– Je vous en supplie… nous avons le temps…

– Allons, ne te fâche pas, ne te fâche pas. Mais je t’assure, il y a des souris ici.

– Il ne manquait plus… des souris et des chats! Je ne sais vraiment ce qui vous prend.

– Je… des bêtises. Je ne… khi, khi. Je ne… khi, khi, khi. Oh! Seigneur… khi.

– Vous avez entendu? murmura le jeune homme, vous faites un tel potin qu’il a…

– Si vous saviez ce qui m’arrive. Je saigne du nez.

– Eh bien, saignez et taisez-vous. Attendez que le vieux s’en aille.

– Jeune homme, mettez-vous à ma place. Je ne sais près de qui je me trouve couché ici.

– Vous ne vous porteriez pas mieux si vous l’appreniez. Croyez-vous que je sois curieux de connaître votre nom?… Eh bien, comment vous appelez-vous?

– Pourquoi diable vous le dirais-je?… Ce qui m’importe, c’est de vous expliquer la manière ridicule dont…

– Chut, il parle de nouveau…

– Je t’assure, mon trésor; qu’il y a des souris… un murmure…

– Mais non… c’est le coton qui s’est mis de travers dans tes oreilles.

– Tiens, à propos de coton… Sais-tu qu’ici, en haut… khi, khi. En haut… khi, khi…

– En haut! murmura le jeune homme, ah! que le diable, moi qui pensais que c’était le dernier étage… Sommes-nous donc au premier?

– Jeune homme! Ivan Andreievitch était tout frémissant. Que dites-vous? Je vous en supplie, que je sache pourquoi vous vous intéressez… Moi aussi, je pensais que c’était le dernier étage… Au nom du ciel, dites-moi s’il y en a encore un autre dans la maison.

– Je te jure que quelqu’un remue, déclara le vieillard qui avait enfin cessé de tousser.

– Chut! Vous entendez?… murmura le jeune homme, saisissant les deux mains d’Ivan Andreievitch.

– Cher Monsieur, vous me faites mal aux mains… Lâchez-moi.

– Chut!

Après une courte lutte, il y eut de nouveau un silence.

– Me voici donc qui rencontre une jolie petite… commença le vieillard.

– Quoi?

– Voyons; ne t’ai-je pas déjà dit que j’avais rencontré une jolie petite dame dans l’escalier? Il est vrai que j’ai omis, peut-être… J’ai peu de mémoire… C’est le mille-pertuis… khi.

– Quoi?

– Il me faut boire du mille-pertuis… on assure que j’irai mieux… Khi, khi, khi. J’irai mieux.

– Tu m’as dit que tu avais rencontré je ne sais quelle dame aujourd’hui, dit l’épouse.

– Hein?

– Une jolie…

– Qui te l’a dit?

– Mais toi!

– Moi, quand? ah oui…

– Enfin! En voilà une momie! murmura le jeune homme, fouettant en pensée la mémoire affaiblie du vieillard.

– Mon cher Monsieur, je frémis de terreur! Seigneur! Que m’est-il donné d’entendre? Tout comme hier, absolument comme hier…

– Chut!

– Ah! oui, oui. Je me souviens… Oh! la rusée mâtine. Et de petits yeux… et un chapeau bleu.

– Un chapeau bleu! Oh! Oh!…

– C’est elle. Elle a un chapeau bleu. Mon Dieu! s’écria Ivan Andreievitch.

– Elle, qui, elle? fit tout bas le jeune homme, serrant les mains d’Ivan.

– Chut! ordonna à son tour Ivan Andreievitch. Il reparle.

– Ah! mon Dieu, mon Dieu!…

– Du reste, tout le monde peut avoir un chapeau bleu… Alors…

– Et quelle petite coquine! continua le vieillard. Elle vient ici chez je ne sais quels amis… Il faut voir les yeux doux qu’elle fait! Et d’autres amis arrivent chez ces amis…

– Dieu, que c’est ennuyeux! interrompit la dame. En quoi cela t’intéresse-t-il?…

– Bien, bien, parfait. Ne te fâche pas, déclara le petit vieux d’une voix dolente. Je vais me taire, puisque tu le veux. Tu me parais de mauvaise humeur ce soir…

– Mais comment vous êtes-vous donc fourré ici? demanda le jeune homme.

– Vous voyez. Vous voyez. Cette fois cela vous intéresse, vous qui ne vouliez pas m’entendre.

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