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Le vieillard saisit une bougie et se pencha sous le lit.

– Qui est là? Qui est là? Serviteurs, serviteurs!

Ivan Andreievitch, ni mort ni vif demeurait immobile près du corps inanimé d’Amichka. Mais le jeune homme suivait du regard les moindres mouvements du vieillard. Ce dernier, brusquement, contourna le lit et, près du mur, se pencha. En une seconde le jeune homme sortit de dessous le lit et s’élança tandis que le mari cherchait ses hôtes de l’autre côté de la couche conjugale.

– Dieu! murmura la dame en fixant le jeune homme. Qui êtes-vous donc? je pensais…

–  Le monstre est resté, répondit tout bas le jeune homme. C’est lui qui a tué Amichka.

– Oh! s’écria la dame.

Mais le jeune homme avait déjà fui.

– Oh! il y a quelqu’un ici. Je vois une botte, cria le mari, saisissant le pied d’Ivan Andreievitch.

– Assassin! Assassin! cria la dame. Oh! Ami, Ami!

– Sortez, sortez donc, cria le vieillard, frappant des pieds. Sortez! Qui êtes-vous? Dites qui vous êtes! Seigneur! Quel curieux personnage!

– Ce sont des brigands…

– Au nom du ciel, au nom du ciel! cria Ivan Andreievitch en sortant, au nom du ciel, Votre Excellence, n’appelez pas vos gens. Votre Excellence, ne faites venir personne. Tout à fait inutile. Vous n’aurez pas à me mettre à la porte. Je ne suis pas cet homme-là. Je suis tout à fait normal. Votre Excellence, tout cela est arrivé par erreur. Je vais vous expliquer sur-le-champ, Votre Excellence. Ivan Andreievitch renifla et fit entendre un sanglot. C’est la femme… c’est-à-dire, non, pas mon épouse, mais la femme d’un autre… moi je ne suis pas marié, simplement… C’est mon ami, un camarade d’enfance…

– Quel camarade d’enfance? cria le vieillard, trépignant. Vous êtes un voleur… vous veniez cambrioler… il n’y a pas de camarade d’enfance.

– Non, je ne suis pas un voleur, Votre Excellence. Je suis effectivement un camarade d’enfance… c’est une erreur fortuite… je suis arrivé par hasard… par l’autre perron.

– Moi je vois, Monsieur, par où vous êtes sorti.

– Votre Excellence! Je ne suis pas cet homme-là. Vous vous trompez. Je répète que vous faites une cruelle erreur, Votre Excellence. Regardez-moi, voyez et vous comprendrez par certains signes et indices que je ne puis être un voleur. Votre Excellence, Votre Excellence, criait Ivan Andreievitch joignant les mains et se tournant vers la jeune dame. Vous, Madame, comprenez-moi… C’est moi qui ai étranglé Amichka… Mais je ne suis pas coupable. Je jure que je ne suis pas coupable. C’est ma femme qui est toujours coupable. Je suis un homme malheureux… je bois le calice…

– Mais écoutez… que m’importe que vous ayez bu une coupe… il se peut que vous en ayez avalé plusieurs, à en juger d’après votre état. Cependant, comment avez-vous pu entrer ici? cria le vieillard agité et frémissant, mais convaincu tout de même qu’Ivan Andreievitch ne pouvait, en effet, être un voleur. Je vous le demande: comment êtes-vous entré ici, comme un bandit?

– Pas un bandit, Votre Excellence. Je vous jure que je ne suis pas un brigand. Tout cela est venu parce que je suis jaloux. Je vous raconterai tout, Votre Excellence, je vous relaterai sincèrement, comme à un père… car vous êtes d’un âge à pouvoir être mon père.

– Comment, d’un âge!

– Votre Excellence! Peut-être vous ai-je offensé? En effet, une dame si jeune… et votre âge… vraiment il est agréable de voir, Votre Excellence, en effet… agréable de voir pareille union… à la fleur de l’âge. Mais n’appelez pas les gens… au nom du ciel, n’appelez personne, les gens ne sauront rien. Je les connais… C’est-à-dire… je ne veux pas dire que mes relations habituelles soient parmi les laquais. Moi aussi, j’ai des laquais, Votre Excellence, et ils ne cessent de se moquer… les ânes! Votre Altesse… Je ne crois pas me tromper, je parle à un prince…

– Non, pas à un prince, Monsieur… Je suis ce que je suis. Je vous prie de ne pas chercher à m’attendrir avec vos «Altesse». Comment vous êtes-vous fourré, Monsieur? Comment vous êtes-vous fourré?…

– Votre Altesse, c’est-à-dire Votre Excellence… pardonnez-moi je croyais que vous étiez Altesse. Je fais erreur… je me suis trompé, cela arrive. Vous ressemblez tant au prince Korotkoouhov que j’eus l’honneur de rencontrer chez mon ami, Monsieur Pouzyrev. Vous voyez bien que je connais aussi des princes. J’ai serré la main à un prince chez mon ami. Vous ne pouvez me prendre pour celui que vous croyez. Je ne suis pas un voleur. Votre Excellence, n’appelez pas les gens… car si vous le faisiez, qu’arriverait-il?

– Mais comment êtes-vous venu ici? s’écria la dame. Qui êtes-vous?

– Oui, qui êtes-vous? reprit le mari. Et moi, mon trésor, qui pensais que notre chat Vasska était sous le lit et éternuait. Et c’était cet homme! Qui êtes-vous? Parlez donc!

De nouveau le vieillard trépigna.

– Je ne puis parler, Votre Excellence, j’attends que vous ayez achevé. J’écoute vos plaisanteries spirituelles. En ce qui me concerne, c’est une histoire bien drôle, Votre Excellence. Je vous raconterai tout… N’appelez pas les gens, Votre Excellence. Agissez à mon égard avec noblesse. Ce n’est pas une affaire d’être resté sous un lit, et je n’ai rien perdu pour cela de ma dignité. Une histoire du plus haut comique. Votre Excellence, cria Ivan Andreievitch, se tournant vers la dame d’un air suppliant. Surtout, vous, Votre Excellence, vous ne pouvez pas ne pas rire… Pensez à un mari jaloux sur une scène. Vous le voyez, je m’humilie, très volontairement, je m’humilie. Certes, j’ai tué Amichka, mais… Seigneur, je ne sais plus ce que je dis…

– Mais comment êtes-vous entré ici?

– J’ai profité de l’obscurité, Votre Excellence… J’en suis navré. Pardonnez-moi, Votre Excellence. Je demande pardon très humblement. Je ne suis qu’un mari offensé, rien de plus. Ne pensez pas, Excellence, que j’ai été l’amant. Je ne suis pas l’amant. Votre épouse est très vertueuse, si j’ose m’exprimer ainsi. Elle est pure et innocente.

– Quoi? Comment? Qu’osez-vous dire? cria le vieillard, trépignant de nouveau. Auriez-vous perdu la raison? Quelle audace de parler ainsi de ma femme!

– Ce bandit, cet assassin qui a étranglé Amichka! s’écria la dame tout en larmes. Et il ose encore!…

– Votre Excellence, Votre Excellence. Je ne fais que dire des sottises.

Ivan Andreievitch était plus mort que vif. Je suis un imbécile et rien de plus… Considérez mon esprit comme dérangé. Je vous donne ma parole d’honneur que vous me rendriez service… Je vous aurais tendu la main mais je n’ose… Je n’étais pas seul… je suis l’oncle… c’est-à-dire que… je veux dire qu’il est impossible qu’on me prenne pour un amant. Dieu. De nouveau des bêtises… Ne vous offensez pas, Votre Excellence, cria Ivan Andreievitch, s’adressant à l’épouse. Vous êtes une dame. Vous comprenez ce qu’est l’amour, c’est un sentiment tout de finesse… Je bafouille encore. Je veux simplement dire que je suis vieux, autrement dit un homme d’âge mûr et non un vieillard, que je ne puis être votre amant… C’est Richardson qui est l’amant, c’est-à-dire Lovelace… Ah! que je suis bête. Mais vous voyez, Votre Excellence, que je suis un être instruit et que je connais la littérature. Vous riez, Votre Excellence. Heureux, heureux d’avoir provoqué votre rire, Votre Excellence. Oh! quelle joie de vous avoir fait rire.

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