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Bournisien l’interrompit, répliquant d’un ton bourru qu’il n’en fallait pas moins prier.

– Mais, objecta le pharmacien, puisque Dieu connaît tous nos besoins, à quoi peut servir la prière?

– Comment! fit l’ecclésiastique, la prière! Vous n’êtes donc pas chrétien?

– Pardonnez! dit Homais. J’admire le christianisme. Il a d’abord affranchi les esclaves, introduit dans le monde une morale…

– Il ne s’agit pas de cela! Tous les textes…

– Oh! oh! quant aux textes, ouvrez l’histoire; on sait qu’ils ont été falsifiés par les jésuites.

Charles entra, et, s’avançant vers le lit, il tira lentement les rideaux.

Emma avait la tête penchée sur l’épaule droite. Le coin de sa bouche, qui se tenait ouverte, faisait comme un trou noir au bas de son visage; les deux pouces restaient infléchis dans la paume des mains; une sorte de poussière blanche lui parsemait les cils, et ses yeux commençaient à disparaître dans une pâleur visqueuse qui ressemblait à une toile mince, comme si des araignées avaient filé dessus. Le drap se creusait depuis ses seins jusqu’à ses genoux, se relevant ensuite à la pointe des orteils; et il semblait à Charles que des masses infinies, qu’un poids énorme pesait sur elle.

L’horloge de l’église sonna deux heures. On entendait le gros murmure de la rivière qui coulait dans les ténèbres, au pied de la terrasse. M. Bournisien, de temps à autre, se mouchait bruyamment, et Homais faisait grincer sa plume sur le papier.

– Allons, mon bon ami, dit-il, retirez-vous, ce spectacle vous déchire!

Charles une fois parti, le pharmacien et le curé recommencèrent leurs discussions.

– Lisez Voltaire! disait l’un; lisez d’Holbach, lisez l’Encyclopédie!

– Lisez les Lettres de quelques juifs portugais disait l’autre; lisez la Raison du christianisme, par Nicolas, ancien magistrat!

Ils s’échauffaient, ils étaient rouges, ils parlaient à la fois sans s’écouter; Bournisien se scandalisait d’une telle audace; Homais s’émerveillait d’une telle bêtise; et ils n’étaient pas loin de s’adresser des injures, quand Charles, tout à coup, reparut. Une fascination l’attirait. Il remontait continuellement l’escalier.

Il se posait en face d’elle pour la mieux voir, et il se perdait en cette contemplation, qui n’était plus douloureuse à force d’être profonde.

Il se rappelait des histoires de catalepsie, les miracles du magnétisme; et il se disait qu’en le voulant extrêmement, il parviendrait peut-être à la ressusciter. Une fois même il se pencha vers elle, et il cria tout bas: «Emma! Emma!» Son haleine, fortement poussée, fit trembler la flamme des cierges contre le mur.

Au petit jour, madame Bovary mère arriva; Charles en l’embrassant, eut un nouveau débordement de pleurs. Elle essaya, comme avait tenté le pharmacien, de lui faire quelques observations sur les dépenses de l’enterrement. Il s’emporta si fort qu’elle se tut, et même il la chargea de se rendre immédiatement à la ville pour acheter ce qu’il fallait.

Charles resta seul toute l’après-midi: on avait conduit Berthe chez madame Homais; Félicité se tenait en haut, dans la chambre, avec la mère Lefrançois.

Le soir, il reçut des visites. Il se levait, vous serrait les mains sans pouvoir parler, puis l’on s’asseyait auprès des autres, qui faisaient devant la cheminée un grand demi-cercle. La figure basse et le jarret sur le genou, ils dandinaient leur jambe, tout en poussant par intervalles un gros soupir; et chacun s’ennuyait d’une façon démesurée; c’était pourtant à qui ne partirait pas.

Homais, quand il revint à neuf heures (on ne voyait que lui sur la Place depuis deux jours), était chargé d’une provision de camphre, de benjoin et d’herbes aromatiques. Il portait aussi un vase plein de chlore, pour bannir les miasmes. À ce moment, la domestique, madame Lefrançois et la mère Bovary tournaient autour d’Emma, en achevant de l’habiller; et elles abaissèrent le long voile raide, qui la recouvrit jusqu’à ses souliers de satin.

Félicité sanglotait:

– Ah! ma pauvre maîtresse! ma pauvre maîtresse!

– Regardez-la, disait en soupirant l’aubergiste, comme elle est mignonne encore! Si l’on ne jurerait pas qu’elle va se lever tout à l’heure.

Puis elles se penchèrent, pour lui mettre sa couronne.

Il fallut soulever un peu la tête, et alors un flot de liquides noirs sortit, comme un vomissement, de sa bouche.

– Ah! mon Dieu! la robe, prenez garde! s’écria madame Lefrançois. Aidez-nous donc! disait-elle au pharmacien. Est-ce que vous avez peur, par hasard?

– Moi, peur? répliqua-t-il en haussant les épaules. Ah bien, oui! J’en ai vu d’autres à l’Hôtel-Dieu, quand j’étudiais la pharmacie! Nous faisions du punch dans l’amphithéâtre aux dissections! Le néant n’épouvante pas un philosophe; et même, je le dis souvent, j’ai l’intention de léguer mon corps aux hôpitaux, afin de servir plus tard à la Science.

En arrivant, le Curé demanda comment se portait Monsieur; et, sur la réponse de l’apothicaire, il reprit:

– Le coup, vous comprenez, est encore trop récent!

Alors Homais le félicita de n’être pas exposé, comme tout le monde, à perdre une compagne chérie; d’où s’ensuivit une discussion sur le célibat des prêtres.

– Car, disait le pharmacien, il n’est pas naturel qu’un homme se passe de femmes! On a vu des crimes…

– Mais, sabre de bois! s’écria l’ecclésiastique, comment voulez-vous qu’un individu pris dans le mariage puisse garder, par exemple, le secret de la confession?

Homais attaqua la confession. Bournisien la défendit; il s’étendit sur les restitutions qu’elle faisait opérer. Il cita différentes anecdotes de voleurs devenus honnêtes tout à coup. Des militaires, s’étant approchés du tribunal de la pénitence, avaient senti les écailles leur tomber des yeux. Il y avait à Fribourg un ministre…

Son compagnon dormait. Puis, comme il étouffait un peu dans l’atmosphère trop lourde de la chambre, il ouvrit la fenêtre, ce qui réveilla le pharmacien.

– Allons, une prise! lui dit-il. Acceptez, cela dissipe.

Des aboiements continus se traînaient au loin, quelque part.

– Entendez-vous un chien qui hurle? dit le pharmacien.

– On prétend, qu’ils sentent les morts, répondit l’ecclésiastique. C’est comme les abeilles: elles s’envolent de la ruche au décès des personnes. Homais ne releva pas ces préjugés, car il s’était rendormi.

M. Bournisien, plus robuste, continua quelque temps à remuer tout bas les lèvres; puis, insensiblement, il baissa le menton, lâcha son gros livre noir et se mit à ronfler.

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