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La maison était bien triste, maintenant! On en voyait sortir les fournisseurs avec des figures furieuses. Il y avait des mouchoirs traînant sur les fourneaux; et la petite Berthe, au grand scandale de madame Homais, portait des bas percés. Si Charles, timidement, hasardait une observation, elle répondait avec brutalité que ce n’était point sa faute!

Pourquoi ces emportements? Il expliquait tout par son ancienne maladie nerveuse; et, se, reprochant d’avoir pris pour des défauts ses infirmités, il s’accusait d’égoïsme, avait envie de courir l’embrasser.

– Oh! non, se disait-il, je l’ennuierais!

Et il restait.

Après le dîner, il se promenait seul dans le jardin; il prenait la petite Berthe sur ses genoux, et, déployant son journal de médecine, essayait de lui apprendre à lire. L’enfant, qui n’étudiait jamais, ne tardait pas à ouvrir de grands yeux tristes et se mettait à pleurer. Alors il la consolait; il allait lui chercher de l’eau dans l’arrosoir pour faire des rivières sur le sable, ou cassait les branches des troènes pour planter des arbres dans les plates-bandes, ce qui gâtait peu le jardin; tout encombré de longues herbes; on devait tant de journées à Lestiboudois! Puis l’enfant avait froid et demandait sa mère.

– Appelle ta bonne, disait Charles. Tu sais bien, ma petite, que ta maman ne veut pas qu’on la dérange.

L’automne commençait et déjà les feuilles tombaient, – comme il y a deux ans, lorsqu’elle était malade! – Quand donc tout cela finira-t-il!… Et il continuait à marcher, les deux mains derrière le dos.

Madame était dans sa chambre. On n’y montait pas. Elle restait là tout le long du jour, engourdie, à peine vêtue, et, de temps à autre, faisant fumer des pastilles du sérail qu’elle avait achetées à Rouen, dans la boutique d’un Algérien. Pour ne pas avoir la nuit auprès d’elle, cet homme étendu qui dormait, elle finit, à force de grimaces, par le reléguer au second étage; et elle lisait jusqu’au matin des livres extravagants où il y avait des tableaux orgiaques avec des situations sanglantes. Souvent une terreur la prenait, elle poussait un cri, Charles accourait.

– Ah! va-t’en! disait-elle.

Ou, d’autres fois, brûlée plus fort par cette flamme intime que l’adultère avivait, haletante, émue, tout en désir, elle ouvrait sa fenêtre, aspirait l’air froid, éparpillait au vent sa chevelure trop lourde, et, regardant les étoiles, souhaitait des amours de prince. Elle pensait à lui, à Léon. Elle eût alors tout donné pour un seul de ces rendez-vous, qui la rassasiaient.

C’était ses jours de gala. Elle les voulait splendides! et, lorsqu’il ne pouvait payer seul la dépense, elle complétait le surplus libéralement, ce qui arrivait à peu près toutes les fois. Il essaya de lui faire comprendre qu’ils seraient aussi bien ailleurs, dans quelque hôtel plus modeste; mais elle trouva des objections.

Un jour, elle tira de son sac six petites cuillers en vermeil (c’était le cadeau de noces du père Rouault), en le priant d’aller immédiatement porter cela, pour elle, au mont-de-piété; et Léon obéit, bien que cette démarche lui déplût. Il avait peur de se compromettre.

Puis, en y réfléchissant, il trouva que sa maîtresse prenait des allures étranges, et qu’on n’avait peut-être pas tort de vouloir l’en détacher.

En effet, quelqu’un avait envoyé à sa mère une longue lettre anonyme, pour la prévenir qu’il se perdait avec une femme mariée; et aussitôt la bonne dame, entrevoyant l’éternel épouvantail des familles, c’est-à-dire la vague créature pernicieuse, la sirène, le monstre, qui habite fantastiquement les profondeurs de l’amour, écrivit à maître Dubocage son patron, lequel fut parfait dans cette affaire. Il le tint durant trois quarts d’heure, voulant lui dessiller les yeux, l’avertir du gouffre. Une telle intrigue nuirait plus tard à son établissement. Il le supplia de rompre, et, s’il ne faisait ce sacrifice dans son propre intérêt, qu’il le fît au moins pour lui, Dubocage!

Léon enfin avait juré de ne plus revoir Emma; et il se reprochait de n’avoir pas tenu sa parole, considérant tout ce que cette femme pourrait encore lui attirer d’embarras et de discours, sans compter les plaisanteries de ses camarades, qui se débitaient le matin, autour du poêle. D’ailleurs, il allait devenir premier clerc: c’était le moment d’être sérieux. Aussi renonçait-il à la flûte, aux sentiments exaltés, à l’imagination; – car tout bourgeois, dans l’échauffement de sa jeunesse, ne fût-ce qu’un jour, une minute, s’est cru capable d’immenses passions, de hautes entreprises. Le plus médiocre libertin a rêvé des sultanes; chaque notaire porte en soi les débris d’un poète.

Il s’ennuyait maintenant lorsque Emma, tout à coup, sanglotait sur sa poitrine; et son cœur, comme les gens qui ne peuvent endurer qu’une certaine dose de musique, s’assoupissait d’indifférence au vacarme d’un amour dont il ne distinguait plus les délicatesses.

Ils se connaissaient trop pour avoir ces ébahissements de la possession qui en centuplent la joie. Elle était aussi dégoûtée de lui qu’il était fatigué d’elle. Emma retrouvait dans l’adultère toutes les platitudes du mariage.

Mais comment pouvoir s’en débarrasser? Puis, elle avait beau se sentir humiliée de la bassesse d’un tel bonheur, elle y tenait par habitude ou par corruption; et, chaque jour, elle s’y acharnait davantage, tarissant toute félicité à la vouloir trop grande. Elle accusait Léon de ses espoirs déçus, comme s’il l’avait trahie; et même elle souhaitait une catastrophe qui amenât leur séparation, puisqu’elle n’avait pas le courage de s’y décider.

Elle n’en continuait pas moins à lui écrire des lettres amoureuses, en vertu de cette idée, qu’une femme doit toujours écrire à son amant.

Mais, en écrivant, elle percevait un autre homme, un fantôme fait de ses plus ardents souvenirs, de ses lectures les plus belles, de ses convoitises les plus fortes; et il devenait à la fin si véritable, et accessible, qu’elle en palpitait émerveillée, sans pouvoir néanmoins le nettement imaginer, tant il se perdait, comme un dieu, sous l’abondance de ses attributs. Il habitait la contrée bleuâtre où les échelles de soie se balancent à des balcons, sous le souffle des fleurs, dans la clarté de la lune. Elle le sentait près d’elle, il allait venir et l’enlèverait tout entière dans un baiser. Ensuite elle retombait à plat, brisée; car ces élans d’amour vague la fatiguaient plus que de grandes débauches.

Elle éprouvait maintenant une courbature incessante et universelle. Souvent même, Emma recevait des assignations, du papier timbré qu’elle regardait à peine. Elle aurait voulu ne plus vivre, ou continuellement dormir.

Le jour de la mi-carême, elle ne rentra pas à Yonville; elle alla le soir au bal masqué. Elle mit un pantalon de velours et des bas rouges, avec une perruque à catogan et un lampion sur l’oreille. Elle sauta toute la nuit au son furieux des trombones; on faisait cercle autour d’elle; et elle se trouva le matin sur le péristyle du théâtre parmi cinq ou six masques, débardeuses et matelots, des camarades de Léon, qui parlaient d’aller souper.

Les cafés d’alentour étaient pleins. Ils avisèrent sur le port un restaurant des plus médiocres, dont le maître leur ouvrit, au quatrième étage, une petite chambre.

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