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– Je la lui donnerai moi-même, se dit-elle; il viendra.

Léon, le lendemain, fenêtre ouverte et chantonnant sur son balcon, vernit lui-même ses escarpins, et à plusieurs couches. Il passa un pantalon blanc, des chaussettes fines, un habit vert, répandit dans son mouchoir tout ce qu’il possédait de senteurs, puis, s’étant fait friser, se défrisa, pour donner à sa chevelure plus d’élégance naturelle.

– Il est encore trop tôt! pensa-t-il en regardant le coucou du perruquier, qui marquait neuf heures.

Il lut un vieux journal de modes, sortit, fuma un cigare, remonta trois rues, songea qu’il était temps et se dirigea lestement vers le parvis Notre-Dame.

C’était par un beau matin d’été. Des argenteries reluisaient aux boutiques des orfèvres, et la lumière qui arrivait obliquement sur la cathédrale posait des miroitements à la cassure des pierres grises; une compagnie d’oiseaux tourbillonnaient dans le ciel bleu, autour des clochetons à trèfles; la place, retentissante de cris, sentait les fleurs qui bordaient son pavé, roses, jasmins, œillets, narcisses et tubéreuses, espacés inégalement par des verdures humides, de l’herbe-au-chat et du mouron pour les oiseaux; la fontaine, au milieu, gargouillait, et, sous de larges parapluies, parmi des cantaloups s’étageant en pyramides, des marchandes, nu-tête, tournaient dans du papier des bouquets de violettes.

Le jeune homme en prit un. C’était la première fois qu’il achetait des fleurs pour une femme; et sa poitrine, en les respirant, se gonfla d’orgueil, comme si cet hommage qu’il destinait à une autre se fût retourné vers lui.

Cependant il avait peur d’être aperçu; il entra résolument dans l’église.

Le Suisse, alors, se tenait sur le seuil, au milieu du portail à gauche, au-dessous de la Marianne dansant plumet en tête, rapière au mollet, canne au poing, plus majestueux qu’un cardinal et reluisant comme un saint ciboire.

Il s’avança vers Léon, et, avec ce sourire de bénignité pateline que prennent les ecclésiastiques lorsqu’ils interrogent les enfants:

– Monsieur, sans doute, n’est pas d’ici? Monsieur désire voir les curiosités de l’église?

– Non, dit l’autre.

Et il fit d’abord le tour des bas-côtés. Puis il vint regarder sur la place. Emma n’arrivait pas. Il remonta jusqu’au chœur.

La nef se mirait dans les bénitiers pleins, avec le commencement des ogives et quelques portions de vitrail. Mais le reflet des peintures, se brisant au bord du marbre, continuait plus loin, sur les dalles, comme un tapis bariolé. Le grand jour du dehors s’allongeait dans l’église en trois rayons énormes, par les trois portails ouverts. De temps à autre, au fond, un sacristain passait en faisant devant l’autel l’oblique génuflexion des dévots pressés. Les lustres de cristal pendaient immobiles. Dans le chœur, une lampe d’argent brûlait; et, des chapelles latérales, des parties sombres de l’église, il s’échappait quelquefois comme des exhalaisons de soupirs, avec le son d’une grille qui retombait, en répercutant son écho sous les hautes voûtes.

Léon, à pas sérieux, marchait auprès des murs. Jamais la vie ne lui avait paru si bonne. Elle allait venir tout à l’heure, charmante, agitée, épiant derrière elle les regards qui la suivaient, – et avec sa robe à volants, son lorgnon d’or, ses bottines minces, dans toute sorte d’élégances dont il n’avait pas goûté, et dans l’ineffable séduction de la vertu qui succombe. L’église, comme un boudoir gigantesque, se disposait autour d’elle; les voûtes s’inclinaient pour recueillir dans l’ombre la confession de son amour; les vitraux resplendissaient pour illuminer son visage, et les encensoirs allaient brûler pour qu’elle apparût comme un ange, dans la fumée des parfums.

Cependant elle ne venait pas. Il se plaça sur une chaise et ses yeux rencontrèrent un vitrage bleu où l’on voit des bateliers qui portent des corbeilles. Il le regarda longtemps, attentivement, et il comptait les écailles des poissons et les boutonnières des pourpoints, tandis, que sa pensée vagabondait à la recherche d’Emma.

Le Suisse, à l’écart, s’indignait intérieurement contre cet individu, qui se permettait d’admirer seul la cathédrale. Il lui semblait se conduire d’une façon monstrueuse, le voler en quelque sorte, et presque commettre un sacrilège.

Mais un froufrou de soie sur les dalles, la bordure d’un chapeau, un camail noir… C’était elle! Léon se leva et courut à sa rencontre.

Emma était pâle. Elle marchait vite.

– Lisez! dit-elle en lui tendant un papier… Oh non!

Et brusquement elle retira sa main, pour entrer dans la chapelle de la Vierge, où, s’agenouillant contre une chaise, elle se mit en prière.

Le jeune homme fut irrité de cette fantaisie bigote; puis il éprouva pourtant un certain charme à la voir, au milieu du rendez-vous, ainsi perdue dans les oraisons comme une marquise andalouse; puis il ne tarda pas à s’ennuyer, car elle n’en finissait.

Emma priait, ou plutôt s’efforçait de prier, espérant qu’il allait lui descendre du ciel quelque résolution subite; et, pour attirer le secours divin, elle s’emplissait les yeux des splendeurs du tabernacle, elle aspirait le parfum des juliennes blanches épanouies dans les grands vases, et prêtait l’oreille au silence de l’église, qui ne faisait qu’accroître le tumulte de son cœur.

Elle se relevait, et ils allaient partir, quand le Suisse s’approcha vivement, en disant:

– Madame, sans doute, n’est pas d’ici? Madame désire voir les curiosités de l’église?

– Eh non! s’écria le clerc.

– Pourquoi pas? reprit-elle.

Car elle se raccrochait de sa vertu chancelante à la Vierge, aux sculptures, aux tombeaux, à toutes les occasions.

Alors, afin de procéder dans l’ordre, le Suisse les conduisit jusqu’à l’entrée près de la place, où, leur montrant avec sa canne un grand cercle de pavés noirs, sans inscriptions ni ciselures:

– Voilà, fit-il majestueusement, la circonférence de la belle cloche d’Amboise. Elle pesait quarante mille livres. Il n’y avait pas sa pareille dans toute l’Europe. L’ouvrier qui l’a fondue en est mort de joie…

– Partons, dit Léon.

Le bonhomme se remit en marche; puis, revenu à la chapelle de la Vierge, il étendit les bras dans un geste synthétique de démonstration, et, plus orgueilleux qu’un propriétaire campagnard vous montrant ses espaliers:

– Cette simple dalle recouvre Pierre de Brézé, seigneur de la Varenne et de Brissac, grand maréchal de Poitou et gouverneur de Normandie, mort à la bataille de Montlhéry, le 16 juillet 1465.

Léon, se mordant les lèvres, trépignait.

– Et, à droite, ce gentilhomme tout bardé de fer, sur un cheval qui se cabre, est son petit-fils Louis de Brézé, seigneur de Breval et de Montchauvet, comte de Maulevrier, baron de Mauny, chambellan du roi, chevalier de l’Ordre et pareillement gouverneur de Normandie, mort le 23 juillet 1531, un dimanche, comme l’inscription porte; et, au-dessous, cet homme prêt à descendre au tombeau vous figure exactement le même. Il n’est point possible, n’est-ce pas, de voir une plus parfaite représentation du néant?

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