«Comme Votre Majesté l’ordonnera», répondirent- ils; et ils dirent au jeune homme de se tenir prêt. Le roi écrivit à la reine une lettre où il lui mandait de se saisir du messager, de le mettre à mort et de l’enterrer, de’ façon à ce qu’il trouvât la chose faite à son retour.
Le garçon se mit en route avec la lettre, mais il s’égara et arriva le soir dans une grande forêt. Au milieu des ténèbres il aperçut de loin une faible lumière, et se dirigeant de ce côté il atteignit une petite maisonnette, où il trouva une vieille femme assise prês du feu. Elle parut toute surprise de voir le jeune homme et lui dit: «D’ou viens-tu et que veux-tu?»
«Je viens du moulin», répondit-il, «je porte une lettre à la reine; j ‘ai perdu mon chemin et je voudrais passer la nuit ici.»
«Malheureux enfant», répliqua la femme, «tu es tombé dans une maison de voleurs, et, s’ils te trouvent ici, c’en est fait de toi.»
«À la grâce de Dieu», dit le jeune homme, «je n ai pas peur; et d’ailleurs, je suis si fatigué qu’il m’est impossible d’aller plus loin.»
Il se coucha sur un banc et s’endormit. Les voleurs rentrèrent bientôt après, et ils demandèrent avec colère pourquoi cet étranger était là. «Ah!» dit la vieille, «c’est un pauvre enfant qui s’est égaré dans le bois; je l’ai reçu par compassion. Il porte une lettre à la reine.»
Les voleurs prirent la lettre pour la lire, et virent qu’elle enjoignait de mettre à mort le messager. Malgré la dureté de leur cœur, ils eurent pitié du pauvre diable; leur capitaine déchira la lettre, et en mit une autre à la place, qui enjoignait qu’aussitôt que le jeune homme arriverait on lui fit immédiatement épouser la fille du roi. Puis les voleurs le laissèrent dormir sur son banc jusqu’au matin, et, quand il fut éveillé, ils lui remirent la lettre et lui montrèrent son chemin.
La reine, ayant reçu la lettre, exécuta çe qu’elle contenait; on fit des noces splendides; la fille du roi épousa l’enfant né coiffé, et comme il était beau et aimable, elle fut enchantée de vivre avec lui.
Quelques temps après, le roi revint dans son palais, et trouva que la prédiction était accomplie, et que l’enfant né coiffé avait épousé sa fille. «Comment cela s’est-il fait?» dit-il, «j’avais donné dans ma lettre un ordre tout différent.» La reine lui montra la lettre, et lui dit qu’il pouvait voir ce qu’elle contenait. Il la lut et vit bien qu’on avait changé la sienne.
Il demanda au jeune homme ce qu’était devenue la lettre qu’il lui avait confiée, et pourquoi il en avait remis une autre. «Je n’en sais rien», répliqua celui-ci, «il faut qu’on l’ait changée la nuit, quand j’ai couché dans la forêt.»
Le roi en colère lui dit: «Cela ne se passera pas ainsi. Celui qui prétend à ma fille doit me rapporter de l’enfer trois cheveux d’or de la tête du diable. Rapporte-les moi, et ma fille t’appartiendra.» Le roi espérait bien qu’il ne reviendrait jamais d’une telle commission.
Le jeune homme répondit: «Le diable ne me fait pas peur; j’irai chercher les trois cheveux d’or.» Et il prit congé du roi et se mit en route.
Il arriva devant une grande ville. À la porte, la sentinelle lui demanda quel était son état et ce qu’il savait.
«Tout», répondit-il.
«Alors», dit la sentinelle, «rends-nous le service de nous apprendre pourquoi la fontaine de notre marché, qui nous donnait toujours du vin, s’est desséchée et ne fournit même plus d’eau.»
«Attendez», répondit-il, «je vous le dirai à mon retour.»
Plus loin il arriva devant une autre ville. La sentinelle de la porte lui demanda son état et ce qu’il savait.
«Tout», répondit-il.
«Rends-nous alors le service de nous apprendre pourquoi le grand arbre de notre ville, qui nous rapportait des pommes d’or, n’a plus de feuilles»
«Attendez», répondit-il, «je vous le dirai à mon retour.»
Plus loin encore il arriva devant une grande rivière qu’il s’agissait de passer. Le passeur lui demanda son état et ce qu’il savait.
«Tout», répondit-il.
«Alors», dit le passeur «rends-moi le service de m’apprendre Si je dois toujours rester à ce poste, sans jamais être relevé.»
«Attends», répondit-il, «je te le dirai à mon retour.»
De l’autre côté de l’eau il trouva la bouche de l’enfer. Elle était noire et enfumée. Le diable n ‘était pas chez lui; il n’y avait que son hôtesse, assise dans un large fauteuil. «Que demandes-tu?» lui dit-elle d’un ton assez doux.
«Il me faut trois cheveux d’or de la tête du diable, sans quoi je n’obtiendrai pas ma femme.»
«C’est beaucoup demander» dit-elle, «et, Si le diable t’aperçoit quand il rentrera, tu passeras un mauvais quart d’heure. Cependant tu m’intéresses, et je vais tâcher de te venir en aide.»
Elle le changea en fourmi et lui dit: «Monte dans les plis de ma robe; là tu seras en sûreté.»
«Merci», répondit-il, «voilà qui va bien; mais j’aurais besoin en outre de savoir trois choses: pourquoi une fontaine qui versait toujours du vin ne fournit plus même d’eau; pourquoi un arbre qui portait des pommes d’or n’a plus même de feuilles; et Si un certain passeur doit toujours rester à son poste sans jamais être relevé.»
«Ce sont trois questions difficiles», dit-elle, «mais tiens-toi bien tranquille, et sois attentif à ce que le Diable dira quand je lui arracherai les trois cheveux d’or.»
Quand le soir arriva, le diable rentra chez lui. À peine était-il entré qu’il remarqua une odeur extraordinaire. «Je sens, je sens, la chair humaine». Et il alla fureter dans tous les coins, mais sans rien trouver. L’hôtesse lui chercha querelle: «Je viens de balayer et de ranger», dit-elle, «et tu vas tout bouleverser ici; tu crois toujours sentir la chair humaine. Assieds-toi et mange ton souper.»
Quand il eut soupé, il était fatigué; il posa sa tête sur les genoux de son hôtesse, et lui dit de lui chercher un peu les poux; mais il ne tarda pas à s’endormir et à ronfler. La vieille saisit un cheveu d’or, l’arracha et le mit de côté. «Hé!» s’écria le diable, «qu’as-tu donc fait?»
«J’ai eu un mauvais rêve», dit l’hôtesse. «et je t ai pris par les cheveux.»
«Qu ‘as-tu donc rêvé?» demanda le diable.
«J ‘ai rêvé que la fontaine d’un marché, qui versait toujours du vin, s’était arrêtée et qu’elle ne donnait plus même d’eau: quelle en peut être la cause?»
«Ah, Si on le savait!» répliqua le diable, «il y a un crapaud sous une pierre dans la fontaine; on n’aurait qu’à le tuer, le vin recommencerait à couler.»
L’hôtesse se remit à lui chercher les poux; il se rendormit et ronfla de façon à ébranler les vitres.
Alors elle lui arracha le second cheveu. «Heu, que fais-tu?» s’écria le diable en colère.