20 juillet.
«Vends tout ce que tu as et le donne aux pauvres.» Je comprends qu’il faudrait donner aux pauvres ce cœur dont je ne dispose que pour Jérôme. Et du même coup n’est-ce pas lui enseigner à faire de même?… Seigneur, donnez-moi ce courage.
24 juillet.
J’ai cessé de lire l’Internelle Consolacion. Cette ancienne langue m’amusait fort, mais me distrayait et la joie quasi païenne que j’y goûte n’a rien à voir avec l’édification que je me proposais d’y chercher.
Repris l’Imitation; et non point même dans le texte latin, que je suis trop vaine de comprendre. J’aime que ne soit pas même signée la traduction où je la lis – protestante il est vrai, mais «appropriée à toutes les communions chrétiennes», dit le titre.
«Oh! si tu savais quelle paix tu acquerrais, et quelle joie tu donnerais aux autres en t’avançant dans la vertu, je m’assure que tu y travaillerais avec plus de soin.»
10 août.
Quand je crierais vers Vous, mon Dieu, avec l’élan de la foi d’un enfant et la voix surhumaine des anges…
Tout cela, je le sais, me vient non de Jérôme, mais de Vous.
Mais pourquoi entre Vous et moi, posez-Vous partout son image?
14 août.
Plus que deux mois pour parachever cet ouvrage… Ô Seigneur aidez-moi!
20 août.
Je le sens bien, je le sens à ma tristesse, que le sacrifice n’est pas consommé dans mon cœur. Mon Dieu, donnez-moi de ne devoir qu’à Vous cette joie que lui seul me faisait connaître.
28 août.
À quelle médiocre, triste vertu je parviens! Exigé-je donc trop de moi? – N’en plus souffrir.
Par quelle lâcheté toujours implorer de Dieu sa force! À présent toute ma prière est plaintive.
29 août.
«Regardez les lis des champs…»
Cette parole si simple m’a plongée ce matin dans une tristesse dont rien ne pouvait me distraire. Je suis sortie dans la campagne et ces mots que malgré moi je répétais sans cesse emplissaient de larmes mon cœur et mes yeux. Je contemplais la vaste plaine vide où le laboureur penché sur la charrue peinait… «Les lis des champs…» Mais, Seigneur, où sont-ils?…
16 septembre, 10 heures du soir.
Je l’ai revu. Il est là, sous ce toit. Je vois sur le gazon la clarté qu’y porte sa fenêtre. Pendant que j’écris ces lignes, il veille; et peut-être qu’il pense à moi. Il n’a pas changé; il le dit; je le sens. Saurai-je me montrer à lui telle que j’ai résolu d’être, afin que son amour me désavoue?…
24 septembre.
Oh! conversation atroce où j’ai su feindre l’indifférence, la froideur, lorsque mon cœur au dedans de moi se pâmait… Jusqu’à présent, je m’étais contentée de le fuir. Ce matin j’ai pu croire que Dieu me donnerait la force de vaincre, et que me dérober sans cesse à la lutte n’allait pas sans lâcheté. Ai-je triomphé? Jérôme m’aime-t-il un peu moins?… Hélas! c’est ce que j’espère, et que je crains tout à la fois… Je ne l’ai jamais aimé davantage.
Et s’il vous faut, Seigneur, pour le sauver de moi, que je me perde, faites!…
«Entrez dans mon cœur et dans mon âme pour y porter mes souffrances et pour continuer d’endurer en moi ce qui vous reste à souffrir de votre Passion.»
Nous avons parlé de Pascal… Qu’ai-je pu lui dire? Quels honteux, absurdes propos! Si je souffrais en les disant déjà, ce soir je m’en repens comme d’un blasphème. J’ai repris le livre pesant des Pensées, qui de lui-même s’est ouvert à ce passage des lettres à Mlle de Roannez:
«On ne sent pas son lien quand on suit volontairement celui qui entraîne; mais quand on commence à résister et à marcher en s’éloignant on souffre bien.»
Ces paroles me touchaient si directement que je n’ai pas eu la force de continuer ma lecture; mais ouvrant le livre à un autre endroit, ce fut pour trouver un passage admirable que je ne connaissais pas et que je viens de copier.
Ici s’achevait le premier cahier de ce journal. Sans doute un cahier suivant fut détruit; car, dans les papiers laissés par Alissa, le journal ne reprenait que trois ans plus tard, à Fongueusemare encore – en septembre – c’est-à-dire peu de temps avant notre dernier revoir.
Les phrases qui suivent ouvrent ce dernier cahier.
17 septembre.
Mon Dieu, vous savez bien que j’ai besoin de lui pour Vous aimer.
20 septembre.
Mon Dieu, donnez-le-moi, afin que je Vous donne mon cœur.
Mon Dieu, faites-le-moi revoir seulement.
Mon Dieu, je m’engage à vous donner mon cœur; accordez-moi ce que mon amour vous demande. Je ne donnerai plus qu’à Vous ce qui me restera de vie…
Mon Dieu, pardonnez-moi cette méprisable prière, mais je ne puis écarter son nom de mes lèvres, ni oublier la peine de mon cœur.
Mon Dieu, je crie à Vous; ne m’abandonnez pas dans ma détresse.
21 septembre.
«Tout ce que vous demanderez à mon père en mon nom…»
Seigneur! en votre nom je n’ose…
Mais si je ne formule plus ma prière, en connaîtrez-vous moins pour cela le délirant souhait de mon cœur?
27 septembre.
Depuis ce matin un grand calme. Passé presque toute la nuit en méditation, en prière. Soudain il m’a semblé que m’entourait, que descendait en moi une sorte de paix lumineuse, pareille à l’imagination qu’enfant je me faisais du Saint-Esprit. Je me suis aussitôt couchée, craignant de ne devoir ma joie qu’à une exaltation nerveuse; je me suis endormie assez vite, sans que cette félicité m’eût quittée. Elle est là ce matin tout entière. J’ai maintenant la certitude qu’il viendra.
30 septembre.
Jérôme! mon ami, toi que j’appelle encore mon frère, mais que j’aime infiniment plus qu’un frère… Combien de fois ai-je crié ton nom dans la hêtraie!… Sortant chaque soir, vers la tombée du jour, par la petite porte du potager, je descends l’avenue déjà sombre… Tu me répondrais soudain, tu m’apparaîtrais là, derrière le talus pierreux qu’avait hâte de contourner mon regard, ou bien je te verrais de loin, assis sur le banc, à m’attendre, mon cœur n’aurait pas un sursaut… au contraire, je m’étonne de ne pas te voir.
1er octobre.
Rien encore. Le soleil s’est couché dans un ciel incomparablement pur. J’attends. Je sais que bientôt, sur ce même banc, je serai assise avec lui… J’écoute déjà sa parole. J’aime tant à l’entendre prononcer mon nom… Il sera là! Je mettrai ma main dans sa main. Je laisserai mon front s’appuyer contre son épaule. Je respirerai près de lui. Hier déjà, j’avais emporté quelques-unes de ses lettres pour les relire; mais je ne les ai pas regardées, trop occupée par sa pensée. J’avais également pris sur moi la croix d’améthyste qu’il aimait et que je portais chaque soir, un des étés passés, aussi longtemps que je ne voulais pas qu’il partît.