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A
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– Et qu’a-t-elle dit?

Je baissai la tête; j’aurais voulu ne pas répondre. Plus confusément encore et comme malgré moi:

– Elle a refusé de se fiancer.

– Eh bien! elle a raison, cette petite! s’écria ma tante. Vous avez tout le temps, parbleu…

– Oh! ma tante, laissons cela, dis-je en tâchant en vain de l’arrêter.

– D’ailleurs, cela ne m’étonne pas d’elle; elle m’a paru toujours plus raisonnable que toi, ta cousine…

Je ne sais ce qui me prit alors; énervé sans doute par cet interrogatoire, il me sembla soudain que mon cœur crevait; comme un enfant, je laissai rouler mon front sur les genoux de la bonne tante, et, sanglotant:

– Ma tante, non, vous ne comprenez pas, m’écriai-je. Elle ne m’a pas demandé d’attendre…

– Quoi donc! Elle t’aurait repoussé? dit-elle avec un ton de commisération très doux en me relevant le front de la main.

– Non plus… non, pas précisément.

Je secouai la tête tristement.

– As-tu peur qu’elle ne t’aime plus?

– Oh! non; ce n’est pas cela que je crains.

– Mon pauvre enfant, si tu veux que je te comprenne, il faut t’expliquer un peu plus clairement.

J’étais honteux et désolé de m’être laissé aller à ma faiblesse; ma tante restait sans doute incapable d’apprécier les raisons de mon incertitude; mais, si quelque motif précis se cachait derrière le refus d’Alissa, ma tante, en l’interrogeant doucement, m’aiderait peut-être à le découvrir. Elle y vint d’elle-même bientôt:

– Écoute, reprit-elle: Alissa doit venir demain matin arranger avec moi l’arbre de Noël; je verrai bien vite de quoi il retourne; je te le ferai savoir au déjeuner, et tu comprendras, j’en suis sûre, qu’il n’y a pas de quoi t’alarmer.

J’allai dîner chez les Bucolin. Juliette, souffrante en effet depuis quelques jours, me parut changée; son regard avait pris une expression un peu farouche et presque dure, qui la faisait différer encore plus qu’auparavant de sa sœur. À aucune d’elles deux je ne pus parler en particulier ce soir-là; je ne le souhaitais point, du reste, et, comme mon oncle se montrait fatigué, je me retirai peu de temps après le repas.

L’arbre de Noël que préparait ma tante Plantier réunissait chaque année un grand nombre d’enfants, de parents et d’amis. Il se dressait dans un vestibule formant cage d’escalier et sur lequel ouvraient une première antichambre, un salon et les portes vitrées d’une sorte de jardin d’hiver où l’on avait dressé un buffet. La toilette de l’arbre n’était pas achevée et, le matin de la fête, lendemain de mon arrivée, Alissa, ainsi que me l’avait annoncé ma tante, vint d’assez bonne heure l’aider à accrocher aux branches les ornements, les lumières, les fruits, les friandises et les jouets. J’aurais pris moi-même grand plaisir auprès d’elle à ces soins, mais il fallait laisser ma tante lui parler. Je partis donc sans l’avoir vue et tâchai toute la matinée d’occuper mon inquiétude.

J’allai d’abord chez les Bucolin, désireux de revoir Juliette; j’appris qu’Abel m’avait devancé auprès d’elle, et, craignant d’interrompre une conversation décisive, je me retirai aussitôt, puis j’errai sur les quais et dans les rues jusqu’à l’heure du déjeuner.

– Gros bêta! s’écria ma tante quand je rentrai, est-il permis de se gâter ainsi la vie! Il n’y a pas un mot de raisonnable dans tout ce que tu m’as conté ce matin… Oh! je n’y ai pas été par quatre chemins: j’ai envoyé promener Miss Ashburton qui se fatiguait à nous aider et, dès que je me suis trouvée seule avec Alissa, je lui ai demandé tout simplement pourquoi elle ne s’était pas fiancée cet été. Tu crois peut-être qu’elle a été embarrassée? – Elle ne s’est pas troublée un instant, et, tout tranquillement, m’a répondu qu’elle ne voulait pas se marier avant sa sœur. Si tu le lui avais demandé franchement, elle t’aurait répondu comme à moi. Il y a bien là de quoi se tourmenter, n’est-ce pas? Vois-tu, mon enfant, il n’y a rien de tel que la franchise… Pauvre Alissa, elle m’a parlé aussi de son père qu’elle ne pouvait quitter… Oh! nous avons beaucoup causé. Elle est très raisonnable, cette petite; elle m’a dit aussi qu’elle n’était pas encore bien convaincue d’être celle qui te convenait; qu’elle craignait d’être trop âgée pour toi et souhaiterait plutôt quelqu’un de l’âge de Juliette…

Ma tante continuait; mais je n’écoutais plus; une seule chose m’importait: Alissa refusait de se marier avant sa sœur. – Mais Abel n’était-il pas là! il avait donc raison, ce grand fat: du même coup, comme il disait, il allait décrocher nos deux mariages…

Je cachai de mon mieux à ma tante l’agitation dans laquelle cette révélation pourtant si simple me plongeait, ne laissant paraître qu’une joie qui lui parut très naturelle et qui lui plaisait d’autant plus qu’il semblait qu’elle me l’eût donnée; mais sitôt après déjeuner je la quittai sous je ne sais quel prétexte et courus retrouver Abel.

– Hein! qu’est-ce que je te disais! s’écria-t-il en m’embrassant, dès que je lui eus fait part de ma joie. – Mon cher, je peux déjà t’annoncer que la conversation que j’ai eue ce matin avec Juliette a été presque décisive, bien que nous n’ayons presque parlé que de toi. Mais elle paraissait fatiguée, nerveuse… j’ai craint de l’agiter en allant trop loin et de l’exalter en demeurant trop longtemps. Après ce que tu m’apprends, c’en est fait! Mon cher, je bondis sur ma canne et mon chapeau. Tu m’accompagnes jusqu’à la porte des Bucolin, pour me retenir si je m’envole en route: je me sens plus léger qu’Euphorion… Quand Juliette saura que ce n’est qu’à cause d’elle que sa sœur te refuse son consentement; quand, aussitôt, je ferai ma demande… Ah! mon ami, je vois déjà mon père, ce soir, devant l’arbre de Noël, louant le Seigneur en pleurant de bonheur et étendant sa main pleine de bénédictions sur les têtes des quatre fiancés prosternés. Miss Ashburton s’évaporera dans un soupir, la tante Plantier fondra dans son corsage et l’arbre tout en feu chantera la gloire de Dieu et battra des mains à la manière des montagnes de l’Écriture.

Ce n’était que vers la fin du jour qu’on devait illuminer l’arbre de Noël et qu’enfants, parents et amis allaient se réunir autour. Désœuvré, plein d’angoisse et d’impatience, après avoir laissé Abel, pour tromper mon attente je me lançai dans une longue course sur la falaise de Sainte-Adresse, m’égarai, fis si bien que, lorsque je rentrai chez ma tante Plantier, la fête était depuis quelque temps commencée.

Dès le vestibule, j’aperçus Alissa; elle semblait m’attendre et vint aussitôt vers moi. Elle portait au cou, dans l’échancrure de son corsage clair, une ancienne petite croix d’améthyste que je lui avais donnée en souvenir de ma mère, mais que je ne lui avais pas encore vu mettre. Ses traits étaient tirés et l’expression douloureuse de son visage me fit mal.

– Pourquoi viens-tu si tard? me dit-elle d’une voix oppressée et rapide. J’aurais voulu te parler.

– Je me suis perdu sur la falaise… Mais tu es souffrante… Oh! Alissa, qu’est-ce qu’il y a?

Elle resta un instant devant moi comme interdite et les lèvres tremblantes; une telle angoisse m’étreignait que je n’osais l’interroger; elle posa sa main sur mon cou comme pour attirer mon visage. Je croyais qu’elle voulait parler; mais à ce moment des invités entrèrent; sa main découragée retomba…

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