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La Mole voulait essayer de résister encore; il répéta de nouveau qu’il aimait mieux mourir que d’occasionner à la reine ce labeur, qui pouvait commencer par la pitié et finir par le dégoût. Cette lutte ne servit qu’à épuiser complètement ses forces. Il chancela, ferma les yeux, et laissa retomber sa tête en arrière, évanoui pour la seconde fois.

Alors Marguerite, saisissant le poignard qu’il avait laissé échapper, coupa rapidement le lacet qui fermait son pourpoint, tandis que Gillonne, avec une autre lame, décousait ou plutôt tranchait les manches de La Mole.

Gillonne, avec un linge imbibé d’eau fraîche, étancha le sang qui s’échappait de l’épaule et de la poitrine du jeune homme, tandis que Marguerite, d’une aiguille d’or à la pointe arrondie, sondait les plaies avec toute la délicatesse et l’habileté que maître Ambroise Paré eût pu déployer en pareille circonstance.

Celle de l’épaule était profonde, celle de la poitrine avait glissé sur les côtes et traversait seulement les chairs; aucune des deux ne pénétrait dans les cavités de cette forteresse naturelle qui protège le cœur et les poumons.

– Plaie douloureuse et non mortelle, Acerrimum humeri vulnus, non autem lethale, murmura la belle et savante chirurgienne; passe-moi du baume et prépare de la charpie, Gillonne.

Cependant Gillonne, à qui la reine venait de donner ce nouvel ordre, avait déjà essuyé et parfumé la poitrine du jeune homme et en avait fait autant de ses bras modelés sur un dessin antique, de ses épaules gracieusement rejetées en arrière, de son cou ombragé de boucles épaisses et qui appartenait bien plutôt à une statue de marbre de Paros qu’au corps mutilé d’un homme expirant.

– Pauvre jeune homme, murmura Gillonne en regardant non pas tant son ouvrage que celui qui venait d’en être l’objet.

– N’est-ce pas qu’il est beau? dit Marguerite avec une franchise toute royale.

– Oui, madame. Mais il me semble qu’au lieu de le laisser ainsi couché à terre nous devrions le soulever et l’étendre sur le lit de repos contre lequel il est seulement appuyé.

– Oui, dit Marguerite, tu as raison.

Et les deux femmes, s’inclinant et réunissant leurs forces, soulevèrent La Mole et le déposèrent sur une espèce de grand sofa à dossier sculpté qui s’étendait devant la fenêtre, qu’elles entrouvrirent pour lui donner de l’air.

Le mouvement réveilla La Mole, qui poussa un soupir et, rouvrant les yeux, commença d’éprouver cet incroyable bien-être qui accompagne toutes les sensations du blessé, alors qu’à son retour à la vie il retrouve la fraîcheur au lieu des flammes dévorantes, et les parfums du baume au lieu de la tiède et nauséabonde odeur du sang.

Il murmura quelques mots sans suite, auxquels Marguerite répondit par un sourire en posant le doigt sur sa bouche.

En ce moment le bruit de plusieurs coups frappés à une porte retentit.

– On heurte au passage secret, dit Marguerite.

– Qui donc peut venir, madame? demanda Gillonne effrayée.

– Je vais voir, dit Marguerite. Toi, reste auprès de lui et ne le quitte pas d’un seul instant.

Marguerite rentra dans sa chambre, et, fermant la porte du cabinet, alla ouvrir celle du passage qui donnait chez le roi et chez la reine mère.

– Madame de Sauve! s’écria-t-elle en reculant vivement et avec une expression qui ressemblait sinon à la terreur, du moins à la haine, tant il est vrai qu’une femme ne pardonne jamais à une autre femme de lui enlever même un homme qu’elle n’aime pas. Madame de Sauve!

– Oui, Votre Majesté! dit celle-ci en joignant les mains.

– Ici, vous, madame! continua Marguerite de plus en plus étonnée, mais aussi d’une voix plus impérative. Charlotte tomba à genoux.

– Madame, dit-elle, pardonnez-moi, je reconnais à quel point je suis coupable envers vous; mais, si vous saviez! la faute n’est pas tout entière à moi, et un ordre exprès de la reine mère…

– Relevez-vous, dit Marguerite, et comme je ne pense pas que vous soyez venue dans l’espérance de vous justifier vis-à-vis de moi, dites-moi pourquoi vous êtes venue.

– Je suis venue, madame, dit Charlotte toujours à genoux et avec un regard presque égaré, je suis venue pour vous demander s’il n’était pas ici.

– Ici, qui? de qui parlez-vous, madame?… car, en vérité, je ne comprends pas.

– Du roi!

– Du roi? vous le poursuivez jusque chez moi! Vous savez bien qu’il n’y vient pas, cependant!

– Ah! madame! continua la baronne de Sauve sans répondre à toutes ces attaques et sans même paraître les sentir; ah! plût à Dieu qu’il y fût!

– Et pourquoi cela?

– Eh! mon Dieu! madame, parce qu’on égorge les huguenots, et que le roi de Navarre est le chef des huguenots.

– Oh! s’écria Marguerite en saisissant madame de Sauve par la main et en la forçant de se relever, oh! je l’avais oublié! D’ailleurs, je n’avais pas cru qu’un roi pût courir les mêmes dangers que les autres hommes.

– Plus, madame, mille fois plus, s’écria Charlotte.

– En effet, madame de Lorraine m’avait prévenue. Je lui avais dit de ne pas sortir. Serait-il sorti?

– Non, non, il est dans le Louvre. Il ne se retrouve pas. Et s’il n’est pas ici…

– Il n’y est pas.

– Oh! s’écria madame de Sauve avec une explosion de douleur, c’en est fait de lui, car la reine mère a juré sa mort.

– Sa mort! Ah! dit Marguerite, vous m’épouvantez. Impossible!

– Madame, reprit madame de Sauve avec cette énergie que donne seule la passion, je vous dis qu’on ne sait pas où est le roi de Navarre.

– Et la reine mère, où est-elle?

– La reine mère m’a envoyée chercher M. de Guise et M. de Tavannes, qui étaient dans son oratoire, puis elle m’a congédiée. Alors, pardonnez-moi, madame! je suis remontée chez moi, et comme d’habitude, j’ai attendu.

– Mon mari, n’est-ce pas? dit Marguerite.

– Il n’est pas venu, madame. Alors, je l’ai cherché de tous côtés; je l’ai demandé à tout le monde. Un seul soldat m’a répondu qu’il croyait l’avoir aperçu au milieu des gardes qui l’accompagnaient l’épée nue quelque temps avant que le massacre commençât, et le massacre est commencé depuis une heure.

– Merci, madame, dit Marguerite; et quoique peut-être le sentiment qui vous fait agir soit une nouvelle offense pour moi, merci.

– Oh! alors, pardonnez-moi, madame! dit-elle, et je rentrerai chez moi plus forte de votre pardon; car je n’ose vous suivre, même de loin.

Marguerite lui tendit la main.

– Je vais trouver la reine Catherine, dit-elle; rentrez chez vous. Le roi de Navarre est sous ma sauvegarde, je lui ai promis alliance et je serai fidèle à ma promesse.

– Mais si vous ne pouvez pénétrer jusqu’à la reine mère, madame?

– Alors, je me tournerai du côté de mon frère Charles, et il faudra bien que je lui parle.

– Allez, allez, madame, dit Charlotte en laissant le passage libre à Marguerite, et que Dieu conduise Votre Majesté.

Marguerite s’élança par le couloir. Mais arrivée à l’extrémité, elle se retourna pour s’assurer que madame de Sauve ne demeurait pas en arrière. Madame de Sauve la suivait.

La reine de Navarre lui vit prendre l’escalier qui conduisait à son appartement, et poursuivit son chemin vers la chambre de la reine.

Tout était changé; au lieu de cette foule de courtisans empressés, qui d’ordinaire ouvrait ses rangs devant la reine en la saluant respectueusement, Marguerite ne rencontrait que des gardes avec des pertuisanes rougies et des vêtements souillés de sang, ou des gentilshommes aux manteaux déchirés, à la figure noircie par la poudre, porteurs d’ordres et de dépêches, les uns entrant et les autres sortant: toutes ces allées et venues faisaient un fourmillement terrible et immense dans les galeries.

Marguerite n’en continua pas moins d’aller en avant et parvint jusqu’à l’antichambre de la reine mère. Mais cette antichambre était gardée par deux haies de soldats qui ne laissaient pénétrer que ceux qui étaient porteurs d’un certain mot d’ordre.

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