– Oui, monsieur, répondit l’officier avec politesse.
– Votre nom, bien connu parmi ceux de la religion, m’enhardit à m’adresser à vous, monsieur, pour vous demander un service.
– Lequel, monsieur?… Mais, d’abord, à qui ai-je l’honneur de parler?
– Au comte Lerac de La Mole. Les deux jeunes gens se saluèrent.
– Je vous écoute, monsieur, dit de Mouy.
– Monsieur, j’arrive d’Aix, porteur d’une lettre de M. d’Auriac, gouverneur de la Provence. Cette lettre est adressée au roi de Navarre et contient des nouvelles importantes et pressées… Comment puis-je lui remettre cette lettre? comment puis-je entrer au Louvre?
– Rien de plus facile que d’entrer au Louvre, monsieur, répliqua de Mouy; seulement, je crains que le roi de Navarre ne soit trop occupé à cette heure pour vous recevoir. Mais n’importe, si vous voulez me suivre, je vous conduirai jusqu’à son appartement. Le reste vous regarde.
– Mille fois merci!
– Venez, monsieur, dit de Mouy.
de Mouy descendit de cheval, jeta la bride aux mains de son laquais, s’achemina vers le guichet, se fit reconnaître de la sentinelle, introduisit La Mole dans le château, et, ouvrant la porte de l’appartement du roi:
– Entrez, monsieur, dit-il, et informez-vous. Et saluant La Mole, il se retira. La Mole, demeuré seul, regarda autour de lui. L’antichambre était vide, une des portes intérieures était ouverte.
Il fit quelques pas et se trouva dans un couloir.
Il frappa et appela sans que personne répondît. Le plus profond silence régnait dans cette partie du Louvre.
– Qui donc me parlait, pensa-t-il, de cette étiquette si sévère? On va et on vient dans ce palais comme sur une place publique.
Et il appela encore, mais sans obtenir un meilleur résultat que la première fois.
– Allons, marchons devant nous, pensa-t-il; il faudra bien que je finisse par rencontrer quelqu’un. Et il s’engagea dans le couloir, qui allait toujours s’assombrissant.
Tout à coup la porte opposée à celle par laquelle il était entré s’ouvrit, et deux pages parurent, portant des flambeaux et éclairant une femme d’une taille imposante, d’un maintien majestueux, et surtout d’une admirable beauté.
La lumière porta en plein sur La Mole, qui demeura immobile. La femme s’arrêta, de son côté, comme La Mole s’était arrêté du sien.
– Que voulez-vous, monsieur? demanda-t-elle au jeune homme d’une voix qui bruit à ses oreilles comme une musique délicieuse.
– Oh! madame, dit La Mole en baissant les yeux, excusez-moi, je vous prie. Je quitte M. de Mouy, qui a eu l’obligeance de me conduire jusqu’ici, et je cherchais le roi de Navarre.
– Sa Majesté n’est point ici, monsieur; elle est, je crois, chez son beau frère. Mais, en son absence, ne pourriez-vous dire à la reine…
– Oui, sans doute, madame, reprit La Mole, si quelqu’un daignait me conduire devant elle.
– Vous y êtes, monsieur.
– Comment! s’écria La Mole.
– Je suis la reine de Navarre, dit Marguerite.
La Mole fit un mouvement tellement brusque de stupeur et d’effroi que la reine sourit.
– Parlez vite, monsieur, dit-elle, car on m’attend chez la reine mère.
– Oh! madame, si vous êtes si instamment attendue, permettez-moi de m’éloigner, car il me serait impossible de vous parler en ce moment. Je suis incapable de rassembler deux idées; votre vue m’a ébloui. Je ne pense plus, j’admire.
Marguerite s’avança pleine de grâce et de beauté vers ce jeune homme qui, sans le savoir, venait d’agir en courtisan raffiné.
– Remettez-vous, monsieur, dit-elle. J’attendrai et l’on m’attendra.
– Oh! pardonnez-moi, madame, si je n’ai point salué d’abord Votre Majesté avec tout le respect qu’elle a le droit d’attendre d’un de ses plus humbles serviteurs, mais…
– Mais, continua Marguerite, vous m’aviez prise pour une de mes femmes.
– Non, madame, mais pour l’ombre de la belle Diane de Poitiers. On m’a dit qu’elle revenait au Louvre.
– Allons, monsieur, dit Marguerite, je ne m’inquiète plus de vous, et vous ferez fortune à la cour. Vous aviez une lettre pour le roi, dites-vous? C’était fort inutile. Mais, n’importe, où est-elle? Je la lui remettrai… Seulement, hâtez-vous, je vous prie.
En un clin d’œil La Mole écarta les aiguillettes de son pourpoint, et tira de sa poitrine une lettre enfermée dans une enveloppe de soie.
Marguerite prit la lettre et regarda l’écriture.
– N’êtes-vous pas monsieur de La Mole, dit-elle.
– Oui, madame. Oh! mon Dieu! aurais-je le bonheur que mon nom fût connu de Votre Majesté?
– Je l’ai entendu prononcer par le roi mon mari, et par mon frère le duc d’Alençon. Je sais que vous êtes attendu.
Et elle glissa dans son corsage, tout raide de broderies et de diamants, cette lettre qui sortait du pourpoint du jeune homme, et qui était encore tiède de la chaleur de sa poitrine. La Mole suivait avidement des yeux chaque mouvement de Marguerite.
– Maintenant, monsieur, dit-elle, descendez dans la galerie au-dessous, et attendez jusqu’à ce qu’il vienne quelqu’un de la part du roi de Navarre ou du duc d’Alençon. Un de mes pages va vous conduire.
À ces mots Marguerite continua son chemin. La Mole se rangea contre la muraille. Mais le passage était si étroit, et le vertugadin de la reine de Navarre si large, que sa robe de soie effleura l’habit du jeune homme, tandis qu’un parfum pénétrant s’épandait là où elle avait passé.
La Mole frissonna par tout son corps, et, sentant qu’il allait tomber, chercha un appui contre le mur.
Marguerite disparut comme une vision.
– Venez-vous, monsieur? dit le page chargé de conduire La Mole dans la galerie inférieure.
– Oh! oui, oui, s’écria La Mole enivré, car comme le jeune homme lui indiquait le chemin par lequel venait de s’éloigner Marguerite, il espérait, en se hâtant, la revoir encore.
En effet en arrivant au haut de l’escalier, il l’aperçut à l’étage inférieur; et soit hasard, soit que le bruit de ses pas fût arrivé jusqu’à elle, Marguerite ayant relevé la tête, il put la voir encore une fois.
– Oh! dit-il, en suivant le page, ce n’est pas une mortelle, c’est une déesse; et, comme dit Virgilius Maro:
Et vera incessu patuit dea.
— Eh bien? demanda le jeune page.
– Me voici, dit La Mole; pardon, me voici.
Le page précéda La Mole, descendit un étage, ouvrit une première porte, puis une seconde et s’arrêtant sur le seuil:
– Voici l’endroit où vous devez attendre, lui dit-il.
La Mole entra dans la galerie, dont la porte se referma derrière lui.
La galerie était vide, à l’exception d’un gentilhomme qui se promenait, et qui, de son côté, paraissait attendre.
Déjà le soir commençait à faire tomber de larges ombres du haut des voûtes, et, quoique les deux hommes fussent à peine à vingt pas l’un de l’autre, ils ne pouvaient distinguer leurs visages. La Mole s’approcha.
– Dieu me pardonne! murmura-t-il quand il ne fut plus qu’à quelques pas du second gentilhomme, c’est M. le comte de Coconnas que je retrouve ici.
Au bruit de ses pas, le Piémontais s’était déjà retourné, et le regardait avec le même étonnement qu’il en était regardé.
– Mordi! s’écria-t-il, c’est M. de La Mole, ou le diable m’emporte! Ouf! que fais-je donc là! je jure chez le roi; mais bah! il paraît que le roi jure bien autrement encore que moi, et jusque dans les églises. Eh, mais! nous voici donc au Louvre?…
– Comme vous voyez, M. de Besme vous a introduit?
– Oui. C’est un charmant Allemand que ce M. de Besme… Et vous, qui vous a servi de guide?
– M. de Mouy… Je vous disais bien que les huguenots n’étaient pas trop mal en cour non plus… Et avez-vous rencontré M. de Guise?
– Non, pas encore… Et vous, avez-vous obtenu votre audience du roi de Navarre?
– Non; mais cela ne peut tarder. On m’a conduit ici, et l’on m’a dit d’attendre.
– Vous verrez qu’il s’agit de quelque grand souper, et que nous serons côte à côte au festin. Quel singulier hasard, en vérité! Depuis deux heures le sort nous marie… Mais qu’avez-vous? vous semblez préoccupé…