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La vaste galaxie NGK 4565, dans la Chevelure de Bérénice, est de toute beauté. On l’apperçoit par la tranche à plusieurs millions de parsecs. Penchée de côté comme un oiseau planant, elle étale au loin son disque mince qui doit consister en branches spirales, tandis qu’au centre flamboie un noyau sphérique très écrasé, qui a l’air d’une masse lumineuse compacte. On voit nettement que ces îles stellaires sont plates: la galaxie peut se comparer à un rouage d’horlogerie. Ses bords s’estompent, comme s’ils se dissolvaient dans les ténèbres de l’infini. C’est à l’un des bords de notre Galaxie que se trouvent le Soleil et la Terre, grain de poussière microscopique, rattachée par le savoir à une multitude de mondes habités et déployant les ailes de la pensée humaine sur l’éternité du Cosmos!

Mven Mas projeta l’image de la galaxie NGK 4594 qui l’avait toujours intéressé plus que les autres. Vue également par la tranche, dans la constellation de la Vierge, et située à dix millions de parsecs, elle ressemblait à une grosse lentille rutilante, enveloppée de gaz lumineux. Une large bande noire — amas de matière opaque — la traversait suivant l’équateur. La galaxie luisait, telle une lanterne mystérieuse au fond d’un abîme.

Quels mondes se dissimulaient dans son rayonnement, plus intense que celui des autres galaxies et qui atteignait en moyenne la classe spectrale F? Comprenait-elle de puissantes planètes habitées, où la pensée s’appliquait, comme chez nous, à percer les mystères de la nature?

Le mutisme absolu des vastes îles stellaires faisait serrer les poings à Mven Mas. Il se rendait compte de la distance fantastique: la lumière mettait trente-deux millions d’années à parvenir jusqu’à cette galaxie! L’échange de messages prendrait donc soixante-quatre millions d’années!

Mven Mas choisit une autre bobine, et l’écran renvoya une grande tache de lumière vive, parmi des étoiles rares et pâles. Une bande noire irrégulière coupait en deux la tache ronde, accentuant par contraste son éclat; les extrémités élargies de la bande éclipsaient le vaste champ de gaz enflammé qui auréolait la tache lumineuse. Tel était le cliché obtenu par des moyens fort ingénieux, de galaxies affrontées dans la constellation du Cygne. Cette collision de galaxies aussi immenses que la nôtre ou que la Nébuleuse d’Andromède, était connue de longue date comme une source de radio-activité, la plus puis santé, sans doute, de la partie accessible de l’Univers. Les jets de gaz animés d’un mouvement rapide engendraient des champs électromagnétiques formidables qui diffusaient à travers le Cosmos la nouvelle de la catastrophe inouïe. La matière elle-même envoyait ce signal de détresse par un poste de mille quintillions de kilowatts. Mais la.distance entre les galaxies était si grande, que le cliché projeté sur l’écran montrait leur état d’il y avait des millions d’années. L’aspect actuel des galaxies qui s’interpénétraient, serait visible dans un nombre d’années si colossal, qu’on ne savait si l’humanité durerait jusque-là.

Mven Mas bondit et appuya les mains sur la table massive, à faire craquer les jointures.

Ce délai de millions d’années, inaccessible à des dizaines de milliers de générations, synonyme du «jamais» accablant pour la postérité la plus lointaine, pourrait être supprimé d’un coup de baguette magique. Cette baguette, c’était la découverte de Ren Boz et l’expérience qu’ils allaient faire ensemble.

Les points les plus éloignés de l’Univers se trouveraient à portée de la main I

Les astronomes de l’antiquité supposaient que les galaxies, s’écartaient les unes des autres. La lumière des îles stellaires lointaines, qui pénétrait dans les télescopes terrestres, s’altérait: les ondes lumineuses s’allongeaient, devenaient des ondes rouges. Ce rougissement attestait que les galaxies s’éloignaient de l’observateur. Les anciens, habitués à interpréter les phénomènes d’une façon rigide et unilatérale, avaient crée la théorie de la dispersion ou de l’expansion de l’Univers, sans comprendre qu’ils ne voyaient qu’un aspect du grand processus de destruction et de création. Seules, la dispersion et la destruction — c’est-à-dire le passage de l’énergie à des degrés inférieurs selon le deuxième principe de la thermodynamique — étaient perçues par nos sens et par les appareils destinés à les amplifier. Quant à l’autre aspect — accumulation, concentration, création — il était imperceptible aux hommes, car la vie elle-même puisait sa force dans l’énergie dispersée par les astres, ce qui conditionnait notre perception du monde environnant. Le cerveau humain a pourtant fini par pénétrer ces processus cachés de formation des mondes dans l’Univers. Mais à l’époque on croyait que plus la galaxie était loin, plus sa vitesse apparente d’éloignement était considérable" Finalement, on crut observer des vitesses proches de celles de la lumière. Certains savants déclarèrent que la limite de visibilité du Cosmos était la distance d’où les galaxies semblaient avoir atteint la vitesse de la lumière: en effet, nous n’en aurions reçu aucun rayon et n’aurions jamais pu les voir. On sait pourquoi la lumière des galaxies lointaines rougit. Le phénomène a plusieurs causes, ainsi que cela a toujours été dans l’histoire de la science. Des amas lointains d’étoiles, nous ne recevons que la lumière émise par leurs centres brillants. Ces masses énormes de matières sont entourées de champs électromagnétiques annulaires qui agissent sur les rayons lumineux par leur puissance et aussi par leur extension; ils ralentissent les vibrations de la lumière dont les ondes s’allongent et deviennent rouges. Dans l’antiquité, les astronomes savaient déjà que la lumière des étoiles trç§ denses rougissait, que les raies du spectre se déplaçaient vers l’extrémité rouge et l’étoile semblait s’éloigner, comme par exemple la naine blanche Sirius B, seconde composante de Sirius. Plus la galaxie est éloignée, plus le rayonnement qui nous en parvient est centralisé et plus le déplacement vers l’extrémité rouge du spectre est prononcé.

D’autre part, les ondes lumineuses qui franchissent une très grande distance sont «ébranlées», et les quanta de lumière perdent une partie de leur énergie. Ce phénomène est expliqué de nos jours: les ondes rouges peuvent aussi être des ondes ordinaires fatiguées, «vieillies». Ainsi, les ondes lumineuses, si pénétrantes, «vieillissent» en traversant les espaces démesurés. Quel espoir aurait donc l’homme de les franchir, à moins d’attaquer la gravitation même par son opposé, suivant les calculs de Ren Boz…

Enfin, l’angoisse a diminué! Nous avons raison de risquer cette expérience sans précédent!

Mven Mas sortit comme d’habitude sur le balcon de l’observatoire et s’y promena à pas précipités. Dans ses yeux fatigués clignotaient encore les galaxies qui envoyaient à la Terre leurs ondes rouges tels des signaux de détresse, des appels à la pensée toute-puissante de l’homme, Mven Mas eut un rire silencieux, plein d’assurance. Ces rayons rouges seraient un jour aussi familiers que ceux qui avaient éclairé le corps de Tchara Nandi à la fête des Coupes de Feu, de cette Tchara qui lui était soudain apparue sous l’aspect de la fille cuivrée d’Epsilon du Toucan, sa princesse lointaine…

Oui, c’est sur Epsilon du Toucan qu’il orienterait le vecteur de Ren Boz non plus seulement pour voir ce monde splendide, maïs aussi en l’honneur de sa représentante sur la Terre!

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