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Au café d'en face, le récit du journaliste relança le débat:

– Dans de pareilles conditions, la déontologie nous permet-elle de continuer les entrevues?

– Tach nous répondrait sûrement qu'il faut être des faux-culs pour parler de déontologie dans notre métier.

– C'est certainement ce qu'il nous dirait, mais il n'est pas le pape, quand même. Nous ne sommes pas forcés d'avaler ses horreurs.

– Le problème, c'est que ces horreurs puent la vérité.

– Ça y est, vous marchez dans son cirque. Je regrette, mais je ne parviens plus à le respecter, ce type. Il est trop impudique.

– C'est bien ce qu'il disait: tu es un ingrat. Il te donne un scoop de rêve et pour tout remerciement, tu le méprises.

– Mais enfin, tu n'as pas entendu les injures qu'il m'a dites?

– Précisément. Elles me permettent d'expliquer ta rage.

– Je suis impatient que ce soit ton tour. On va rire.

– Moi aussi, je suis impatient que ce soit mon tour.

– Et ce qu'il a dit sur les femmes, vous avez entendu?

– Oh, on ne peut pas lui donner tout à fait tort.

– Vous n'avez pas honte? Heureusement qu'il n'y a pas de femme avec nous pour vous entendre. Au fait, qui passe demain?

– Un inconnu. Il n'est pas venu se présenter.

– Pour qui travaille-t-il?

– On ne sait pas.

– N'oublie pas que Gravelin nous demande à chacun une copie de nos enregistrements. On lui doit bien ça.

– Ce type est un saint. Depuis combien d'années travaille-t-il pour Tach? Ça n'a pas dû être drôle tous les jours.

– Oui, mais travailler pour un génie, ce doit être fascinant.

– Le génie a bon dos dans cette affaire.

– Au fait, pourquoi Gravelin veut-il écouter les bandes?

– Besoin de mieux connaître son tortionnaire. Je comprends ça.

– Je me demande comment il fait pour supporter le gros.

– Cesse d'appeler Tach comme ça. N'oublie pas qui il est.

– Pour moi, depuis ce matin, il n'y a plus de Tach. Il sera toujours le gros. On ne devrait jamais rencontrer les écrivains.

– Qui êtes-vous? Qu'est-ce que vous foutez là?

– Nous sommes le 18 janvier, monsieur Tach, et c'est le jour qui m'a été attribué pour vous rencontrer.

– Vos collègues ne vous ont pas dit que…

– Je n'ai pas vu ces gens. Je n'ai aucun rapport avec eux.

– Bon point pour vous. Mais on aurait dû vous prévenir.

– Votre secrétaire, M. Gravelin, m'a fait écouter les bandes hier soir. Je suis là en pleine connaissance de cause.

– Vous savez ce que je pense de vous et vous venez quand même?

– Oui.

– Bien. Bravo. C'était téméraire de votre part. A présent, vous pouvez partir.

– Non.

– Vous l'avez réussi, votre exploit. Qu'est-ce qu'il vous faut de plus? Vous voulez que je vous signe une attestation?

– Non, monsieur Tach, j'ai grande envie de vous parler.

– Écoutez, c'était très drôle, mais ma patience est limitée. Le gag est terminé: fichez le camp.

– Il n'en est pas question. J'ai reçu l'autorisation de M. Gravelin au même titre que les autres journalistes. Alors je reste.

– Ce Gravelin est un traître. Je lui avais bien dit d'envoyer promener les magazines féminins.

– Je ne travaille pas pour un magazine féminin.

– Comment? La presse masculine engage des femelles, maintenant?

– Ce n'est pas une nouveauté, monsieur Tach.

– Merde alors! Ça promet: on commence par engager des femelles, on finit par engager des nègres, des Arabes, des Irakiens!

– C'est un prix Nobel qui dit des choses aussi relevées?

– Prix Nobel de littérature, pas prix Nobel de la paix, Dieu merci.

– Dieu merci, oui.

– Madame joue au bel esprit?

– Mademoiselle.

– Mademoiselle? Ça ne m'étonne pas, moche comme vous l'êtes. Et collante, avec ça! Les hommes ont bien raison de ne pas vous épouser.

– Vous avez quelques guerres de retard, monsieur Tach. Aujourd'hui, une femme peut avoir envie de rester célibataire.

– Voyez-vous ça! Dites plutôt que vous ne trouvez personne pour vous sauter.

– Ça, cher monsieur, c'est mon affaire.

– Oh oui, c'est votre vie privée, n'est-ce pââs?

– Exactement. Si ça vous amuse de raconter à tout le monde que vous êtes vierge, c'est votre droit. Les autres ne sont pas obligés de vous imiter.

– Qui êtes-vous pour me juger, espèce de petite merdeuse insolente, de mocheté mal baisée?

– Monsieur Tach, je vous donne deux minutes, montre en main, pour vous excuser de ce que vous venez de dire. Si, au terme de ces deux minutes, vous ne m'avez pas présenté vos excuses, je m'en vais et je vous laisse vous emmerder dans votre immonde appartement.

L'espace d'un instant, l'obèse sembla suffoquer.

– Impertinente! Inutile de regarder votre montre: vous pourriez rester ici deux ans, je ne vous présenterais aucune excuse. C'est à vous de vous excuser. Et puis, où allez-vous chercher que je tiens à votre présence? Depuis que vous êtes entrée, je vous ai ordonné de vider le plancher au moins deux fois. Alors, n'attendez pas la fin de vos deux minutes, vous perdez votre temps. La porte est là! La porte est là, vous m'entendez?

Elle semblait ne pas entendre. Elle continuait à regarder sa montre, l'air impénétrable. Quoi de plus court que deux minutes? Pourtant, deux minutes peuvent sembler interminables quand elles sont mesurées avec rigueur dans un silence de mort. L'indignation du vieillard eut le temps de se transformer en stupeur.

– Bien, les deux minutes sont passées. Adieu, monsieur Tach, j'ai été enchantée de vous connaître.

Elle se leva et se dirigea vers la porte.

– Ne partez pas. Je vous ordonne de rester.

– Vous avez quelque chose à me dire?

– Asseyez-vous.

– Il est trop tard pour vous excuser, monsieur Tach. Le délai est passé.

– Restez, nom d'un chien!

– Adieu.

Elle ouvrit la porte.

– Je m'excuse, vous m'entendez? Je m'excuse!

– Je vous ai dit qu'il était trop tard.

– Merde, c'est la première fois de ma vie que je m'excuse!

– C'est sans doute pour cela que vos excuses sont si mal présentées.

– Vous avez quelque chose à leur reprocher, à mes excuses?

– J'ai même plusieurs choses à leur reprocher. D'abord, elles viennent trop tard: apprenez que des excuses tardives ont perdu la moitié de leurs vertus. Ensuite, si vous parliez correctement notre langue, vous sauriez qu'on ne dit pas: «Je m'excuse», on dit: «Je vous présente mes excuses», ou, mieux: «Veuillez m'excuser», ou, mieux encore: «Veuillez accepter mes excuses», mais la meilleure formule est: «Je vous prie de bien vouloir accepter mes excuses.»

– Quel charabia hypocrite!

– Hypocrite ou non, je pars à l'instant si vous ne me présentez pas des excuses en bonne et due forme.

– Je vous prie de bien vouloir accepter mes excuses.

– Mademoiselle.

– Je vous prie de bien vouloir accepter mes excuses, mademoiselle. Alors, vous êtes contente?

– Pas du tout. Vous avez entendu le ton de votre voix? Vous auriez employé le même ton pour me demander la marque de ma lingerie.

– Quelle est la marque de votre lingerie?

– Adieu, monsieur Tach.

Elle ouvrit la porte à nouveau. L'obèse cria, empressé:

– Je vous prie de bien vouloir accepter mes excuses, mademoiselle.

– C'est mieux. La prochaine fois, soyez plus rapide. Pour vous punir de votre lenteur, je vous ordonne de me dire pourquoi vous ne voulez pas que je parte.

– Quoi, c'est pas encore fini?

– Non. Je trouve que je mérite des excuses parfaites. En vous limitant à une simple formule, vous n'étiez pas très crédible. Pour que je sois convaincue, j'ai besoin que vous vous justifiiez, que vous me donniez envie de vous pardonner ~ car je ne vous ai pas encore pardonné, ce serait trop facile.

– Vous exagérez!

– C'est vous qui me dites ça?

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