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– Que signifie cette illumination? demanda Théodore d’une voix joyeuse en entrant dans la chambre de sa femme.

Augustine saisit avec adresse un moment si favorable, elle s’élança au cou de son mari et lui montra le portrait. L’artiste resta immobile comme un rocher. Ses yeux se dirigèrent alternativement sur Augustine et sur la toile accusatrice. La timide épouse, demi-morte, épiait le front changeant, le front terrible de son mari. Elle en vit par degrés les rides expressives s’amonceler comme des nuages; puis, elle crut sentir son sang se figer dans ses veines, quand, par un regard flamboyant et d’une voix profondément sourde, elle fut interrogée.

– Où avez-vous trouvé ce tableau?

– La duchesse de Carigliano me l’a rendu.

– Vous le lui avez demandé?

– Je ne savais pas qu’il fût chez elle.

La douceur ou plutôt la mélodie enchanteresse de la voix de cet ange eût attendri des Cannibales, mais non un artiste en proie aux tortures de la vanité blessée.

– Cela est digne d’elle, s’écria l’artiste d’une voix tonnante. Je me vengerai! dit-il en se promenant à grands pas. Elle en mourra de honte: je la peindrai! oui, je la représenterai sous les traits de Messaline sortant à la nuit du palais de Claude.

– Théodore! dit une voix mourante.

– Je la tuerai.

– Mon ami!

– Elle aime ce petit colonel de cavalerie, parce qu’il monte bien à cheval…

– Théodore!

– Eh! laissez-moi, dit le peintre à sa femme avec un son de voix qui ressemblait presque à un rugissement.

Il serait odieux de peindre toute cette scène à la fin de laquelle l’ivresse de la colère suggéra à l’artiste des paroles et des actes qu’une femme, moins jeune qu’Augustine, aurait attribués à la démence.

Sur les huit heures du matin, le lendemain, madame Guillaume surprit sa fille pâle, les yeux rouges, la coiffure en désordre, tenant à la main un mouchoir trempé de pleurs, contemplant sur le parquet les fragments épars d’une toile déchirée les morceaux d’un grand cadre doré mis en pièce. Augustine, que la douleur rendait presque insensible, montra ces débris par un geste empreint de désespoir.

– Et voilà peut-être une grande perte, s’écria la vieille régente du Chat-qui-pelote. Il était ressemblant, c’est vrai; mais j’ai appris qu’il y a sur le boulevard un homme qui fait des portraits charmants pour cinquante écus.

– Ah, ma mère!

– Pauvre petite, tu as bien raison! répondit madame Guillaume qui méconnut l’expression du regard que lui jeta sa fille. Va, mon enfant, l’on n’est jamais si tendrement aimé que par sa mère. Ma mignonne, je devine tout; mais viens me confier tes chagrins, je te consolerai. Ne t’ai-je pas déjà dit que cet homme-là était un fou! Ta femme de chambre m’a conté de belles choses… Mais c’est donc un véritable monstre!

Augustine mit un doigt sur ses lèvres pâlies, comme pour implorer de sa mère un moment de silence. Pendant cette terrible nuit, le malheur lui avait fait trouver cette patiente résignation qui, chez les mères et chez les femmes aimantes, surpasse, dans ses effets, l’énergie humaine et révèle peut-être dans le cœur des femmes l’existence de certaines cordes que Dieu a refusées à l’homme.

Une inscription gravée sur un cippe du cimetière Montmartre indiquait que madame de Sommervieux était morte à vingt-sept ans. Un poète, ami de cette timide créature, voyait, dans les simples lignes de son épitaphe, la dernière scène d’un drame. Chaque année, au jour solennel du 2 novembre, il ne passait jamais devant ce jeune marbre sans se demander s’il ne fallait pas des femmes plus fortes que ne l’était Augustine pour les puissantes étreintes du génie.

– Les humbles et modestes fleurs, écloses dans les vallées, meurent peut-être, se disait-il, quand elles sont transplantées trop près des cieux, aux régions où se forment les orages, où le soleil est brûlant.

Maffliers, octobre 1829.

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