Литмир - Электронная Библиотека
A
A

– Ma Mary? Impossible!

– C’est malheureusement plus que possible, c’est certain. Ni vous ni votre fils ne connaissiez la véritable personnalité de cet homme lorsque vous l’avez admis dans votre intimité. C’est l’un des plus dangereux individus d’Angleterre, un joueur ruiné, un coquin capable des pires canailleries, un homme sans cœur et sans conscience. Votre nièce n’avait jamais eu affaire à des gens de cette espèce. Lorsqu’il lui a juré qu’il l’aimait, comme il l’avait fait à cent autres avant elle, elle se figurait être la seule à lui avoir jamais inspiré un tel sentiment. Le diable seul pourrait dire de quels mots il s’est servi pour la subjuguer, mais toujours est-il qu’elle finit par n’être plus qu’un jouet entre ses mains et qu’elle avait, presque chaque soir, des rendez-vous avec lui.

– Je ne peux pas, je ne veux pas croire une chose semblable! s’écria le banquier, dont la figure était devenue livide.

– Eh bien! je vais vous raconter ce qui s’est passé dans votre maison l’autre nuit. Votre nièce, lorsqu’elle crut que vous étiez retiré dans votre chambre, descendit furtivement au rez-de-chaussée et parla à son amoureux à la fenêtre qui donne sur le chemin des écuries. Il demeura auprès d’elle fort longtemps, comme le prouvaient les empreintes de ses pas qui avaient complètement traversé la neige. Elle lui parla du diadème, ce qui excita sa cupidité de gredin, et il la plia à sa volonté. Je suis persuadé qu’elle vous aimait de tout son cœur, mais il est des femmes chez qui l’amour l’emporte sur toutes les autres affections, et j’ai idée qu’elle doit être de celles-là. A peine avait-elle eu le temps d’écouter les indications qu’il lui donnait qu’elle vous vit descendre l’escalier. Alors elle s’empressa de refermer la fenêtre et vous parla de l’escapade de la femme de chambre avec son amoureux à jambe de bois, ce qui d’ailleurs était parfaitement réel.

«Votre fils Arthur monta se coucher peu après la conversation qu’il avait eue avec vous, mais il dormit mal en raison de l’inquiétude que lui donnaient ses dettes de jeu. Vers le milieu de la nuit, ayant entendu un pas léger passer devant la porte de sa chambre, il se leva, regarda dans le couloir et eut la surprise de voir sa cousine le traverser sur la pointe des pieds et disparaître ensuite dans votre cabinet de toilette. Pétrifié de stupéfaction, il enfila à la hâte son pantalon et attendit dans l’obscurité, curieux de savoir ce qui allait se passer. Au bout de quelques instants, votre nièce ressortit, et, à la lueur de la lampe qui éclairait le couloir, votre fils s’aperçut qu’elle tenait le précieux diadème entre ses mains. Il la laissa descendre l’escalier et, tout frémissant d’horreur, courut sans bruit se cacher derrière la tenture qui est près de votre porte, à une place d’où il pouvait observer ce qui se passait dans le vestibule en bas. Il vit alors sa cousine ouvrir silencieusement la fenêtre, tendre le diadème au-dehors à quelqu’un que l’obscurité rendait invisible, puis refermer la fenêtre et regagner rapidement sa chambre en passant tout près de l’endroit où il se tenait caché derrière la tenture.

«Tant qu’elle était là, il ne pouvait intervenir sans compromettre irrémédiablement cette jeune fille qu’il aimait. Mais, dès qu’elle fut disparue, il comprit quel désastre ce serait pour vous et l’importance qu’il y avait à le réparer. Alors, pieds nus, tel qu’il était, il se précipita en bas de l’escalier, sauta dans la neige et partit en courant à travers le chemin des écuries, où il entrevoyait une silhouette sombre devant lui sous le clair de lune. Sir George Burnwell essaya de l’esquiver, mais Arthur le rattrapa, et une lutte s’engagea entre eux, votre fils tirant le diadème d’un côté pendant que son adversaire tirait de l’autre. Au cours de la bagarre, votre fils frappa sir George d’un coup de poing qui lui fit une blessure au-dessus de l’œil. Puis quelque chose se rompit net, et votre fils, emportant le diadème, rentra en courant, referma la fenêtre et remonta dans votre cabinet de toilette. C’est au moment où il venait de constater que le diadème avait été tordu dans la lutte et où il s’efforçait de le redresser que vous l’avez surpris.

– Est-ce possible? balbutia le banquier.

– Et vous l’avez exaspéré en l’outrageant odieusement à l’instant même où vous auriez dû, au contraire, le remercier chaleureusement. Du reste, il n’aurait pu vous expliquer la vérité qu’en dénonçant cette jeune fille qui, pourtant, ne méritait pas d’égards, et chevaleresque jusqu’au bout, il préféra se taire plutôt que de la trahir.

– Voilà donc pourquoi elle a poussé ce cri et a perdu connaissance, s’écria M. Holder. O mon Dieu, faut-il que j’aie été assez aveugle et stupide! Et Arthur qui m’avait demandé de lui permettre de sortir cinq minutes! Le brave garçon voulait retourner voir si le morceau qui manquait n’était pas resté à l’endroit où il s’était battu.

«Comme je l’ai mal jugé!

– A mon arrivée à la maison, poursuivit Holmes, mon premier soin fut d’en faire soigneusement le tour afin de m’assurer s’il n’y avait pas sur la neige des empreintes susceptibles de me mettre sur la voie. Je savais qu’il n’avait pas neigé à nouveau depuis la veille au soir et que, comme il avait gelé très fort pendant la nuit, les empreintes, s’il en existait, seraient demeurées intactes. Je commençai par longer le sentier des fournisseurs, mais je m’aperçus que tout y avait été piétiné et qu’il serait impossible de rien reconnaître. Un peu plus loin, par contre, au-delà de la porte de la cuisine, je constatai qu’une femme était restée debout à la même place, en conversation avec un homme dont l’une des empreintes, petite et ronde, montrait qu’il avait une jambe de bois. Je pus même me rendre compte qu’ils avaient été dérangés, attendu que la femme était revenue en courant vers la porte, ainsi que le prouvaient ses traces, profondes à la pointe et légères au talon, tandis que l’homme à la jambe de bois, après avoir attendu encore un peu, avait fini par s’en aller. Je pensai tout de suite qu’il s’agissait peut-être de la servante et de son amoureux, dont vous m’aviez parlé, et, renseignements pris, je vis que je ne m’étais pas trompé. En faisant le tour du jardin, je ne relevai pas autre chose que des empreintes sans but déterminé que je présumai avoir été produites par les policiers; mais, une fois dans le chemin des écuries, j’y découvris, écrite devant moi sur la neige, une histoire très longue et très complexe.

«Il y avait là deux doubles lignes d’empreintes: les premières produites par un homme chaussé; les secondes, je le constatai avec joie, appartenant à un homme ayant marché nu-pieds. D’après le récit que vous m’aviez fait, j’acquis immédiatement la conviction que ce dernier était votre fils. Le premier avait marché en venant et en repartant, mais l’autre avait couru rapidement et, comme l’empreinte de son pied nu recouvrait par endroits celui de l’homme chaussé, il était évident qu’il avait dû passer après lui. Je les suivis, et je vis qu’elles aboutissaient à la fenêtre du vestibule, où l’homme chaussé avait foulé toute la neige à force d’attendre. Ensuite, je repris cette piste en sens inverse jusqu’à l’emplacement où elle se terminait, à une centaine de mètres de là, dans le chemin des écuries. Je vis le demi-tour décrit par l’homme chaussé lorsqu’il était revenu sur ses pas, l’emplacement où la neige était toute piétinée comme si une lutte y avait eu lieu, et finalement quelques gouttes de sang qui me confirmèrent dans cette supposition. L’homme chaussé avait ensuite couru le long du chemin, et je retrouvai plus loin quelques nouvelles traces de sang qui me prouvèrent que c’était lui qui avait été blessé; mais, quand j’arrivai à la grand-route, je vis qu’on l’avait déblayée et qu’il ne subsistait par conséquent plus aucune trace de ce côté.

8
{"b":"100280","o":1}